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十牛圖 Shiniu tu [Jūgyūzu]
Les dix images du buffle
Version de 廓庵師遠 Kuoan Shiyuan [Kakuan Shien], 12e siècle,
traduit par
Catherine Despeux
dans
Le chemin de l'éveil, Paris, éd. l'Asiathèque, 1981 (réimpr. 1992; 2015), pp. 32-51.
Illustrations de gravure sur bois de 町元呑空 Machimoto Donkū
dans
改定評唱冠註十部録 Kaitei hyōshō kanchū jūburoku,
Kyōto-shi: Baiyō Shoin,
1913
1. Le buffle n'a jamais été égaré. Pourquoi le rechercher?
Ayant tourné le dos à l'Éveil, celui-ci devient diffus, et dans ce monde de poussière nous
le perdons complètement, tandis que notre maison s'éloigne progressivement. Ayant pris
des chemins de traverse, nous nous égarons toujours plus loin. Les notions d'obtention et
de perte prennent de la vigueur. Les notions de vrai et de faux apparaissent, incisives.Vite, il part à sa recherche et coupe les herbes folles sur son chemin.
Allant parmi les vastes cours d'eau, les monts lointains et les chemins interminables,
Ses forces sont épuisées et son esprit fatigué; il ne sait plus où le chercher,
Mais il entend dans les érables le chant nocturne des cigales.
2. Les traces sont visibles
Grâce aux sûtra, il commence à comprendre et, par la lecture des enseignements, il découvre
les traces. De même que les objets sont tous faits du même or, de même les dix mille choses
sont le Soi. Il ne distingue pas le correct duperverti, ni le vrai du faux. Comme if n'a pas
encore franchi la porte, on dit seulement qu'il a vu les traces.Dans la forêt, au bord de l'eau, les traces sont nombreuses.
Voit-il là-bas les herbes odoriférantes foulées ?
Pourtant, les monts reculés, les gorges profondes,
Et l'azur illimité ne peuvent dissimuler son museau.
3. Le buffle est visible
Par une écoute attentive, il pénètre dans la Voie et remonte à la source. Les six sens sont
harmonisés et immobiles. Partout, le buffle est présent, tel le sel dans l'eau ou la substance
dans la couleur. Il tourne son regard vers ses sourcils (concentre sa vision vers l'intérieur).
Il ne s'agit de rien d'autre.Perché sur une branche, le rossignol égrène son chant.
Le vent bruisse dans les saules de la berge chauffée par le soleil.
Le buffle est là, sans nul endroit où s'échapper.
Quel artiste pourrait peindre cette tête splendide et ces cornes majestueuses !
4. Il attrape le buffle
Aujourd'hui il a retrouvé le buffle, si long temps dissimulé dans la campagne. Il fut difficile
à rattraper, lui qui fut tant séduit par le monde extérieur. Il songe constamment aux
buissons parfumés et il garde encore sa nature sauvage, rétive et fort puissante. Pour le
dompter complètement, il faut redoubler de coups de fouet.De toute l'énergie de son âme, il a pris possession du buffle,
Dont la vigueur et la volonté sont difficiles à chasser complètement.
S'il parvient enfin sur les hauts plateaux,
Il retourne encore au fond du val brumeux.
5. Dressage du buffle
Quand une pensée s'élève, une autre la suit. C'est à partir de l'Éveil que s'accomplit le
Vrai. C'est à partir de l'égarement que naît l'illusion. Elle ne provient pas de l'existence
du monde extérieur, elle est engendrée par notre propre esprit. Il tire fermement la corde
passée dans ses naseaux, sans céder en rien.Corde et fouet sont toujours à ses côtés,
De peur que le buffle ne s'égare dans le monde de poussière.
Ainsi dressé, il devient tout à fait docile,
Sans attache, sans licou et sans nulle contrainte, il suit l'homme de lui-même.
6. Retour à la maison, sur le dos du buffle
La lutte est terminée. Les notions d'obtention et de perte n'existent plus. Il fredonne un
air de bûcheron, et joue sur sa flûte les airs champêtres des enfants. Juché sur le dos du
buffle, il contemple l'empyrée. Il ne se détourne pas quand on l'appelle et ne demeure plus
dans l'attachement et les tentations.Le long des chemins sinueux il rentre chez lui, à cheval sur le buffle.
Les sons mélodieux de son pipeau accompagnent les lueurs du couchant.
Il chante en mesure une infinité de sentiments
Que l'ami intime devine, sans l'interroger.
7. Le buffle est oublié, l'homme reste seul
Les choses sont Non-Dualité, le buffle n'est qu'un symbole pour parvenir au but. ll faut
distinguer le lièvre du piège qui sert à l'attraper ou le poisson de la nasse. C'est comme l'or
issu de sa scorie ou la lune émergeant des nuages. Un seul rai d'une lumière éclatante, un
son majestueux dans l'au-delà du temps!Chevauchant le buffle, il est déjà parvenu à sa demeure rupestre.
Le buffle a disparu et l'homme reste seul serein,
Le soleil rouge est monté haut dans le ciel tandis qu'il rêve,
Et soudain, dans sa chaumière, la corde et le fouet sont inutiles.
8. Homme et buffle sont oubliés
Toutes les passions de l'homme du commun ont été éliminées, et l'idée de sainteté a
disparu. Il ne s'attache ni à résider dans la bouddhéité, ni à fuir rapidement l'état de
non-bouddhéité. Même le Bodhisattva aux mille yeux ne pourrait discerner qui il est. Si
une foule d'oiseaux venaient à lui offrir des fleurs, quelle dérision!Tout est Vacuité (a disparu) : fouet, corde, homme et buffle.
En vérité, il est difficile de concevoir l'immensité de l'azur.
Les flocons de neige s'évanouissent au-dessus du fourneau de braise,
Arrivé là, il est uni à l'esprit des patriarches.
9. Retour à l'origine, à la source
Depuis le commencement, tout est pur sans un grain de poussière. Il contemple la croissance
et le déclin des phénomènes, tout en restant dans l'état de calme immuable du Non-Agir.
Comme il ne s'identifie pas aux fantasmagories, qua-t-il à faire de culture illusoire? Parmi
l'eau verdoyante et les monts bleutés, assis, il contemple le début et la fin (des choses).Retourner à l'origine, à la source, c'était vain.
Mieux vaut être sourd et aveugle.
Dans son ermitage, il ne voit pas les choses à l'extérieur;
La rivière coule, infinie, la fleur rouge s'épanouit.
10. Il entre dans la ville, les mains couvertes de bénédictions
La porte de son humble chaumière est formée et les plus sages ne le connaissent pas. Il a
dissimulé son propre paysage intérieur et ne suit pas la voie des anciens sages. Portant
une gourde, il se rend au marché. Appuyé sur son bâton, il rentre chez lui. Il convertit les
aubergistes et les marchands de poissons, il les conduit à la bouddhéité.La poitrine et les pieds nus, il entre au marché.
Couvert de boue et de cendres, un large sourire éclaire son visage.
Sans l'aide des véritables formules secrètes des immortels,
Il enseigne directement et les arbres morts se couvrent de fleurs.