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Robert Linssen (1911-2004)
Table des matières |
Contents |
PDF: L'Éveil suprême (1970) La Voie Abrupte de Chen-Houei (668-760) et Tetsugen (1630-1682) |
PDF: Living Zen (1958) PDF: Zen - The Wisdom of the East - A New Way of Life (1968) |
Robert Linssen
Robert Linssen (1911-2004), auteur et chercheur belge. Très jeune il connut une expérience intérieure qui le poussa à faire connaitre et transmettre à un large publiqueles idées des grandes traditions spirituelles en comparaison avec les dernières données scientifiques. Il était un pionnier dans ce domaine. Il a aussi était un des premiers à introduire la pensée Zen dans sa forme chinoise originale (Ch'an), ainsi que la pensée de J. Krishnamurti avec qui il était ami. Il contribua à lancer et à faire connaître de nombreux chercheurs et maîtres spirituels, ainsi que de nombreux courants d'idées. Il est l'auteur de plus d'une vingtaine d'ouvrages et des centaines d'articles et l'organisateur de nombreux colloques et séminaires...
Robert Linssen utilisa plusieurs pseudonymes dans ses écrits; citant Iwan Khowsky, Prof. Lebélier, Râm Nirmayananda Dorje, Ram Linssen, etc.
Essais sur le Bouddhisme en général et sur le Zen en particulier
La Colombe, Paris, 1954 pour les tomes 1 & 2., 1956 pour le tome 3.
Nouvelle édition, 1960, 398 p.
Le Zen. Sagesse d'Extrême-Orient : un nouvel art de vivre ?
Marabout-Université, Verviers, 1969
Le Sens du zen
Éditions Le Mail, Aix-en-Provence, 1992
Le Ch'an par Robert Linssen
(Extrait de l’Univers de la Parapsychologie et de l’Ésotérisme dirigé par Jean-Louis Victor, Tome 6, éditions Martinsart, 1976)
http://www.revue3emillenaire.com/blog/le-chan-par-robert-linssen/
Origines du zen authentique
L’essor considérable et soudain du bouddhisme zen en Occident a eu pour conséquences diverses déviations et tendances de mélanges ou synthèses dont l’esprit et les pratiques sont en opposition radicale avec la pureté des enseignements originels. Ceux-ci sont très différents de la plupart des sectes du zen japonais. Telles sont les raisons pour lesquelles les spécialistes en la question, tels Wei Wu Wei et Fung Yu Lan préfèrent se référer aux enseignements du bouddhisme Ch’an de la Voie abrupte tels qu’ils furent donnés par les grands patriarches et maîtres de la Chine antique. Ces enseignements sont fort éloignés des diverses écoles zen de facilité, accordant une importance majeure aux exercices physiques, aux postures, aux rituels mais négligeant toute la priorité que les maîtres de l’Éveil authentique recommandent d’accorder au niveau spirituel pour la dissolution du mirage de l’ego et la délivrance des vices de fonctionnement du mental.
Le zen japonais étant une émanation tardive du bouddhisme Ch’an de la Chine et celui-ci étant une synthèse du bouddhisme mahayana indien (le Grand Véhicule) et du taoïsme, une brève esquisse historique est nécessaire afin d’éviter toute confusion.
Le Bouddha naquit à Kapilavastu, capitale du royaume des Cakyas vers l’an 560 avant notre ère. Le terme bouddha ne désigne ni un dieu ni une personne. Il signifie « éveillé ». Tout être humain qui se connaît pleinement réalise la bouddhéité ou état d’éveil naturel, désigné par le mot Nirvâna dans le bouddhisme indien et par le mot Satori dans le zen japonais. Les spécialistes du bouddhisme contestent le bien-fondé d’une notion généralement admise en Occident : la notion de fondateur de religion.
Ainsi que l’écrit le professeur D. T. Suzuki : « Le bouddhisme n’est pas sorti tout armé du cerveau du Bouddha comme Pallas Athénée du cerveau de Zeus. Dans la mesure où le bouddhisme est une religion vivante et non pas une momie historique bourrée de matériaux morts et dénués d’utilité, il doit être capable d’absorber et d’assimiler tout ce qui vient en aide à sa croissance. C’est ce qu’il y a de plus naturel pour n’importe quel organisme doué de vie ».
Le Bouddha, nous déclarent les maîtres, n’a jamais eu l’intention de fonder une religion organisée dont les enseignements soient rigidement codifiés. Les quatre vérités essentielles enseignées par le Bouddha sont résumées par la tradition populaire comme suit:
1° Constatation de la souffrance.
2° Désignation de l’existence et de l’ignorance comme causes de la souffrance.
3° Possibilité d’être délivré de la souffrance.
4° Chemin à parcourir.
Le Bouddha prêcha en Inde durant plus de 50 années à une époque où dominaient encore les superstitions, les derniers vestiges de la période sacrificielle des Veda. Il énonça un enseignement très dépouillé, dégagé de tout rituel, de toute magie. Des spécialistes, tels A. David-Neel et le Dr André Migot enseignent que contrairement à ce qu’affirment certains auteurs, les ancêtres du Bouddha et des Cakyas n’étaient pas des Indiens mais des Mongols. Le déroulement des faits historiques semble confirmer cette version. Il existe une psychologie indo-européenne assez différente de la psychologie mongole et chinoise. La première est plus affective que la seconde. Le caractère très dépouillé des enseignements du Bouddha n’a pu conquérir de façon permanente les milieux religieux indiens. Après avoir inspiré l’un des empires les plus spiritualisés de l’histoire, sous le règne d’Açoka, entre 274 et 237 avant notre ère, le bouddhisme fut persécuté en Inde.
C’est en l’an 65 de notre ère que deux moines indiens Matanga et Bhorana l’introduisirent en Chine dans la ville de Lloyang, où quelque temps plus tard, il devait se mêler progressivement au taoïsme, pour former le Ch’an.
Le taoïsme a eu son origine lors de la rédaction du Tao Te Ching par le philosophe et sage chinois Lao-Tseu qui naquit vers 570 av. J.-C. dans le royaume de Tch’en. Les lettrés chinois nous assurent que Lao-Tseu avait écrit une œuvre beaucoup plus vaste mais elle s’est complètement égarée. Parmi les taoïstes les plus importants, il convient de citer Chouang-Tseu (env. 350 av. J.C.) et Lie-Tseu.
Naissance du Ch’an
A l’époque où le bouddhisme s’introduisit en Chine, la religion dominante du peuple chinois résultait d’un syncrétisme de provenance complexe où l’on trouve mêlés des éléments du taoïsme et du confucianisme. Le courant dominant de la pensée chinoise était représenté par l’École de Lao Chang, à laquelle succéda l’École mystique. Cette dernière prit naissance et se développa pendant l’ère Wei et Chin, entre les IIIe et IVe siècles. Toutes deux subirent l’influence des maîtres du taoïsme : Lao Tseu et surtout de Chang-Tseu. L’influence du confucianisme n’était pas complètement exclue.
L’École mystique chinoise fut suivie par l’École dite de la lumière intérieure. Telle fut la première appellation de ce qui fut appelé plus tard le bouddhisme Ch’an. Celui-ci apparut vers la fin du IVe siècle et inaugura son entrée dans l’histoire par les travaux et commentaires du maître Tao-An (312-385). Ces commentaires furent en grande partie possibles grâce au labeur inlassable d’un grand lettré indien, Kumarajiva (343-413) qui traduisit les Prajnapâramitâ Sûtra en chinois.
La partie la plus importante de l’histoire du bouddhisme Ch’an se situe entre la période Kumarajiva (343-413) et la fin de la période T’ang (env. 618-907).
Tao-An (312-385) eut deux successeurs : Tao-Cheng (360-434) et Seng-Chao (384-414) que de nombreux spécialistes considèrent comme les véritables fondateurs du bouddhisme Ch’an qui, transformé au Japon, devint le bouddhisme zen. Tous trois étaient de fervents partisans de la Voie abrupte. Leur pensée était une synthèse du taoïsme et du bouddhisme mais ils se réfèrent très fréquemment aux écrits taoïstes de Lao-Tseu et de Chouang-Tseu. Seng-Chao (384-414) se consacrait à la copie des textes de Confucius et de Lao-Tseu. Il se convertit au bouddhisme après lecture du Vimalakirti Sûtra.
Les enseignements de Tao-Cheng et Seng-Chao étaient empreints d’une grande élévation spirituelle et témoignaient d’un éveil intérieur authentique. Ils se résumaient en trois points essentiels.
Premièrement: importance de la gratuité de tout acte de contemplation, de toute méditation Tout acte spirituel ou matériel doit être affranchi d’un désir de récompense. La raison de cette recommandation n’est pas d’ordre moral mais d’ordre psychologique et spirituel. Elle résulte de la nécessité d’une convergence de toutes les énergies de la conscience dans la momentanéité de chaque instant. Elle est également une conséquence des enseignements relatifs au caractère illusoire du moi. Les enseignements déclarent textuellement que « l’accomplissement de bonnes actions en vue d’une récompense est méritoire uniquement dans le cadre de l’éphémère apparence qu’est le moi. Elle encourage les ignorants qui croient à son existence ».
Deuxième point fondamental. L’illumination spirituelle ou éveil intérieur est une expérience intemporelle, abrupte et soudaine. En d’autres termes, la découverte de notre nature véritable n’est pas l’objet d’un travail accumulatif ni d’un processus progressif ou graduel. Le caractère soudain de l’éveil spirituel est l’une des caractéristiques du bouddhisme Ch’an de la Voie abrupte. Il s’agit d’une véritable mutation psychologique au cours de laquelle la conscience personnelle réalisant la passivité d’un silence mental parfait, reçoit les impulsions créatrices de la conscience cosmique. Celle-ci porte des noms différents suivant les auteurs : le non-mental, le corps de Bouddha, le Dharma Kaya, le corps de vérité, la base du monde.
Les maîtres du Ch’an désignent cette expérience fondamentale à l’aide de trois mots à la fois simples et révélateurs : « Retourner chez soi… » « Vous vous êtes retrouvé maintenant ! déclare l’instructeur Ch’an à son élève. Rien ne vous a jamais manqué. Seule, une distraction fondamentale et un vice de fonctionnement de votre mental masquait à vos yeux la nature de votre être réel… »
Troisième point fondamental : la nature de Bouddha ou corps de vérité existe dans le cœur de tout être humain et forme la réalité essentielle des choses et des êtres dans l’univers entier.
Les enseignements essentiels de l’École de la lumière intérieure (le bouddhisme Ch’an) sont résumés dans les œuvres d’un auteur contemporain de Tao Cheng et de Seng-Chao : le maître Hui Yuan (334-416). Ces écrits sont intitulés : Discussions illustrant le processus des récompenses. Les cinq points fondamentaux du bouddhisme Ch’an s’y trouvent exposés et peuvent être résumés comme suit :
1° Le principe fondamental de l’univers et des êtres humains est inexprimable et impensable.
2° Le perfectionnement spirituel ne peut être cultivé, c’est-à-dire qu’il ne peut être l’objet d’un acte de volonté accumulative du moi ni de ses constructions mentales, par le fait que ce moi n’est qu’illusion et ignorance.
3° En dernière analyse, lors de l’éveil intérieur, rien n’est atteint. Nous avons toujours été et nous sommes, sans le savoir, la réalité suprême, le corps de Bouddha. Seule, une distraction fondamentale nous prive de la vision de la soi-nature.
4° II n’y a rien d’autre qui soit vraiment important dans le bouddhisme.
5° Le simple fait de puiser de l’eau et de casser du bois renferme le merveilleux mystère du Tao.
Pour l’ignorant, prisonnier de ses fausses identifications mentales et de son égoïsme, le fait de puiser de l’eau est accompagné de l’état de conscience léthargique, conflictuel inhérent aux confections mentales erronées. Pour l’éveillé, chaque geste extérieur, apparemment ordinaire, se réalise dans une transparence intérieure et une disponibilité extraordinaires.
A la fin du Ve siècle, le moine bouddhiste indien Bodhidharma (480-528 ou 535) vint s’établir en Chine. Il est l’auteur d’une des œuvres les plus remarquables du bouddhisme Ch’an intitulée La Contemplation du mur dans le Mahayana. Ses premières rencontres avec les érudits chinois lui apportèrent une profonde déception. Il tenta de leur exposer ses conceptions en présence de l’empereur Wu, mais il se heurta à une incompréhension complète. Très attristé par ses premiers contacts, il se retira durant huit années au cours desquelles il se consacra à la méditation. Quittant sa solitude il reprit sa campagne en faveur d’une renaissance du bouddhisme qu’il considérait comme une expérience vivante dégagée de l’emprise des textes auxquels il lui semblait que les érudits chinois étaient trop attachés.
Bodhidharma définit alors le bouddhisme Ch’an de la façon suivante : « Une transmission orale en dehors des Écritures. Aucune dépendance à l’égard des mots et des lettres. Une recherche directe vers l’essence de l’être humain. La vision de sa nature réelle et la réalisation de l’éveil parfait. »
A la différence de Tao Cheng et de Seng-Chao qui se référaient fréquemment aux textes taoïstes parallèlement à ceux du bouddhisme, Bodhidharma s’inspirait principalement des textes essentiellement bouddhistes des Prajnapâramitâ Sûtra et surtout au Lankâvatâra Sûtra.
Toute une lignée de patriarches illustres succéda à Bodhidharma. Il convient de citer parmi eux Houei-k’o (486-593) successeur de Bodhidharma et considéré comme le deuxième patriarche. Le maître T’sen T’sang (env. 606) succéda à Houei-k’o comme troisième patriarche. Il est l’auteur d’un poème immortel : le Hsin-Hsin-Ming considéré comme l’un des meilleurs ouvrages exprimant le sens des valeurs du bouddhisme Ch’an.
Notre ancien collaborateur, le savant japonais D. T. Suzuki, en a publié d’excellentes traductions anglaises traduites depuis lors en français. Nous en reproduisons quelques fragments essentiels :
« La parfaite Voie ne connaît nulle difficulté.
Sinon qu’elle se refuse à toute préférence.
Ce n’est qu’une fois libérée de la haine et de l’amour
Qu’elle se révèle pleinement et sans masque…
Une différence d’un dixième de pouce
Et le ciel et la terre se trouvent séparés.
Si vous voulez voir la Parfaite Voie manifestée
Ne concevez aucune pensée, ni pour elle, ni contre elle.
Opposer ce que vous aimez à ce que vous n’aimez pas.
Voilà la maladie de l’esprit.
Lorsque le sens profond de la Voie n’est pas compris
La paix de l’esprit est troublée et rien n’est gagné.
La Voie est parfaite comme le vaste espace.
Rien n’y manque, rien n’y est superflu.
C’est parce que l’on fait un choix
Que sa vérité absolue se trouve perdue.
Ne poursuivez pas les complications extérieures.
Ne vous attardez pas dans le vide intérieur.
Lorsque l’esprit reste serein dans l’unité des choses
Le dualisme s’évanouit de lui-même.
Et quand l’unité des choses n’est pas comprise jusqu’au fond
De deux façons, la perte est supportée…
Phraséologies, jeux de l’intellect…
Plus nous nous y donnons et plus loin, nous nous égarons.
Éloignons-nous donc de la phraséologie et des jeux de l’intellect…
Et il n’est nulle place où nous ne puissions librement passer.
Au moment où nous sommes illuminés en nous-mêmes
Nous dépassons le vide du monde qui s’oppose à nous.
N’essayez pas de chercher la vérité…
Cessez simplement de vous attacher à des opinions.
Ne vous attardez pas dans le dualisme.
Lâchez prise… laissez les choses comme elles peuvent être.
Obéissez à la nature des choses…
Et vous êtes en accord avec la Voie.
Si un œil ne tombe jamais endormi
Tous les rêves cesseront d’eux-mêmes.
Si l’esprit conserve son unité
Les dix mille choses sont d’une seule et même essence.
Lorsque le profond mystère de cette essence est sondé
D’un seul coup nous oublions les complications extérieures.
Nous retournons à l’origine et restons ce que nous sommes.
Oublions le pourquoi des choses
Et nous atteignons un état au-delà de l’analogie.
L’ultime but des choses, là où elles ne peuvent aller plus loin
N’est pas limité par des règles et des mesures.
L’esprit en harmonie avec la Voie est le principe d’identité
Où nous trouvons toutes les actions dans un, état de quiétude.
Rien n’est retenu maintenant.
Il n’est plus rien dont on doive se souvenir.
Tout est vide, lucide et porte en soi un principe d’illumination.
Dans le plus haut royaume de l’essence vraie
Il n’y a ni autre, ni soi. »
Ces lignes, profondément empreintes du climat de la plus haute intégration spirituelle, mettent l’accent sur la perception constante de l’essence unique des êtres et des choses, sur un affranchissement des fausses valeurs inhérentes aux défauts de fonctionnement du mental, sur l’abolition de toute dualité entre l’observateur et l’observé, entre le sujet et les objets. C’est à ce niveau, que se situent les objectifs des maîtres du Ch’an de la Voie abrupte. La seule pratique véritable a toujours consisté et consistera toujours, nous le verrons ailleurs, à nous dégager de l’emprise des mirages résultant d’un vice de fonctionnement de la pensée.
A T’sen T’sang (env. 606) succéda le quatrième patriarche : Tao-Shin (580-651), moins bien connu que son prédécesseur. Le cinquième patriarche Hung-Jen (601-675) succéda à Tao-Shin. Il est considéré par certains comme le père spirituel du célèbre Hui-Neng (638-713). Hui-Neng est un des rares patriarches dont les sermons sont considérés, au même titre que ceux du Bouddha, comme de véritable Sûtra. Les événements peu ordinaires qui contribuèrent à le faire connaître illustrent parfaitement le climat spirituel dont s’inspiraient les maîtres du bouddhisme Ch’an de la Voie abrupte. Nous verrons ultérieurement qu’il existait deux écoles dans le Ch’an.
Dès ses premières rencontres avec Hui-Neng, Hung-Jen, le cinquième patriarche, avait reconnu en lui un homme parfaitement éveillé. En raison de son âge avancé, Hung-Jen pensait aux problèmes de la succession et souhaitait secrètement que celle-ci soit assurée par Hui-Neng. De grandes difficultés restaient à vaincre pour parvenir à la réalisation d’un tel projet, et ce pour diverses raisons compréhensibles. D’abord, Hui-Neng était un complet illettré. Il n’était qu’un simple laïc dépourvu d’érudition. Ensuite, le cinquième patriarche Hung-Jen, qui cherchait un successeur, était le chef d’un grand monastère dans lequel vivaient plus de cinq cents moines, lettrés très instruits. Certains d’entre eux très imbus de leur érudition convoitaient secrètement la succession du cinquième patriarche. Celui-ci, parfaitement conscient des difficultés de la situation, suggéra à Hui-Neng de se présenter au monastère comme simple laïc cherchant du travail afin de trier et broyer le riz destiné aux moines dans les greniers du monastère.
Après quelque temps, le cinquième patriarche annonça solennellement aux cinq cents moines présents qu’il désirait nommer un successeur. Il déclara que tout moine qui lui présenterait un poème ou une simple phrase exprimant parfaitement l’illumination et l’esprit profond du Ch’an serait immédiatement nommé sixième patriarche. Parmi les plus érudits des moines, Shen-Hsiu, considéré comme le plus savant de la congrégation, composa immédiatement les vers suivants :
« Ce corps est l’arbre de Bodhi.
Et l’esprit est comparable à un miroir clair posé sur un support.
Balayons-le constamment.
Et ne laissons aucune poussière s’accumuler sur lui. »
Hung-Jen eut néanmoins quelques doutes quant à la valeur de ces quelques lignes, d’autant plus qu’un langage presque identique avait été formulé par le sage chinois Chouang-Tseu, principal disciple de Lao-Tseu. Le refus des vers de Shen-Hsiu par Hung-Jen suscita de nombreux commentaires parmi les moines. Tandis que ces derniers s’entretenaient de l’événement, Hui-Neng qui passait par là demanda à l’un d’eux de lui montrer l’inscription se trouvant sur le mur de la salle des assemblées. Étant illettré il demanda à l’un des moines de la lui lire. Après, avoir écouté attentivement les vers de Shen-Hsiu, Hui-Neng demanda à l’un des moines de l’accompagner durant la nuit et le pria d’écrire les vers suivants :
« La Sagesse ne connaît aucun arbre qui puisse croître.
Et le miroir ne repose sur aucun support.
Depuis le commencement, rien n’existe.
Où la poussière pourrait-elle s’accumuler?»
Dans les premières heures du jour suivant, les moines lurent avec stupéfaction les vers de Hui-Neng qu’ils jugèrent insolents. Ce n’était pas l’avis du cinquième patriarche. Celui-ci remit la robe et le bol de Bodhidharma à Hui-Neng, la nuit suivante, dans le plus grand secret. Ces objets étaient considérés comme les symboles de la transmission spirituelle dont Hui-Neng, maintenant sixième patriarche, devait être le détenteur. Hui-Neng quitta discrètement le monastère durant la nuit. Il parcourut la Chine au cours de nombreux voyages et contribua de façon importante au rayonnement du bouddhisme Ch’an dans ce pays.
Ses commentaires se référaient aux textes les plus profonds du bouddhisme mahayana et notamment aux Nirvâna, Vajracchedika et Vimalakirti Sûtra. Il n’utilisait ceux-ci qu’à titre d’introduction préférant insister sur le caractère vivant d’une expérience d’éveil intérieur dégagée de toute référence à des textes. Hui-Neng mourut à 73 ans au mois d’août de l’an 713.
Depuis un siècle ou deux se dessinait une division du bouddhisme Ch’an en deux tendances. Cette division s’affirma davantage encore après la mort de Hui-Neng.
La première division du Ch’an, désignée comme branche du Nord est connue également sous le nom de doctrine du Lanka. Elle se référait principalement au Lankâvatâra Sûtra. Cette école enseignait l’existence d’un processus progressif et graduel de l’éveil intérieur. Elle reçut l’appui moral de l’Empereur mais ne remporta pas le succès souhaité par ses interprètes.
La seconde division du Ch’an, désignée comme branche du Sud enseignait au contraire le caractère soudain et abrupt de l’éveil intérieur. C’est d’elle que vient l’appellation plus connue de bouddhisme Ch’an de la Voie abrupte. Conforme à l’esprit du sixième patriarche Hui-Neng, elle eut beaucoup plus de succès malgré son caractère ardu et très dépouillé.
Cette école a eu pour interprètes les maîtres les plus illustres du Ch’an, et notamment Shen-Hui (668-760), Ma-Tsu (env. 788), Hui-Haï (env. 800) et Huang-Po (env. 850) également connu sous le nom de Hsi-Yun.
Contrairement à ce qu’ont affirmé certains auteurs, la mort de Hui Neng n’a pas mis fin à la lignée des patriarches du Ch’an. Il eut un successeur, le maître Shen-Hui (668-760) considéré par les spécialistes comme le plus grand de tous les patriarches. Il fut reconnu comme tel, un siècle après sa mort, par l’Empereur Wu et considéré comme septième patriarche. Les maîtres actuels du Ch’an de la Voie abrupte, tels Fung-Yu-Lan et Wei Wu Wei se réfèrent principalement à Shen-Hui, Hui-Neng, Hui-Hai et Huang-Po.
L’étude attentive des enseignements des maîtres du bouddhisme Ch’an de la Voie abrupte nous montre l’ampleur des différences sinon de la décadence des sectes japonaises actuelles par rapport à la pureté, à la rigueur et à la profondeur des enseignements originels. Telle est non seulement l’opinion de nos instructeurs en la matière, Wei Wu Wei, Sam Tchen Kham Pâ mais aussi de l’écrivain Alan Watts, qui déclare à ce propos :
« Quelques communautés zen semblent avoir survécu jusqu’à présent, mais elles s’orientent vers le Soto ou vers des préoccupations occultes du bouddhisme tibétain. Dans les deux cas, la vision du zen se trouve mélangée à des doctrines discutables sur l’anatomie psychique de l’homme qui semblent issues d’anciennes notions taoïstes d’alchimie. (…) Le Rinzaï et le Soto, tels qu’ils existent aujourd’hui dans les monastères, accordent une importance énorme au za-zen, au fait de s’asseoir en méditation. Ils pratiquent ces exercices plusieurs heures par jour et accordent une très grande importance à la correction des postures et au mode de respiration qu’elles impliquent. »
Le contraste entre les enseignements du chan et les formes actuelles du zen japonais répandues en Occident est frappant. Les éveillés authentiques sourient face à l’engouement soudain du public occidental pour ces postures et ces rites radicalement condamnés par le maître du Ch’an de la Voie abrupte, ainsi que le démontrent les textes classiques qui suivent; un dialogue historique a eu lieu entre le septième patriarche Shen-Hui (668-760) et le maître Ch’eng. Nous en reproduisons un fragment significatif :
« Shen-Hui : — Lorsqu’on pratique le samadhi (méditation) n’est-ce pas là, une activité choisie délibérément par le mental ?
Ch’eng : — oui.
Shen-Hui : — Alors cette activité délibérée du mental est un acte de la conscience conditionnée, et dans ce cas, comment peut-il apporter la vision de la soi-nature ?
Ch’eng : — Pour réaliser la vision de la soi-nature, il est nécessaire de pratiquer le samadhi. »
Le samadhi indien véritable ou le satori du zen japonais ne sont pas des résultats de manipulations ni d’efforts mentaux du moi. Ce ne sont pas des états auto-projetés. Le maître Huai-Jang (env. 775 ap. J.-C.), disciple de Hui-Neng, a déclaré dans le Kû-Tsun-Yû-lun : « Lorsque vous vous entraînez au za-zen vous devriez savoir que le Ch’an ne consiste ni à s’asseoir, ni à se coucher. Si vous vous entraînez à devenir un bouddha assis, vous devez savoir que le bouddha n’a pas de forme fixe. Parce que la vérité n’a pas de forme fixe, elle ne peut être l’objet d’aucun acte de choix. Si vous vous transformez en bouddha assis, par cela même vous détruisez le bouddha. Si vous vous attachez à la posture assise, vous n’atteindrez jamais le principe du zen. »
De son côté : le sixième patriarche Hui-Neng (638-713) déclarait : « La vérité est comprise par l’esprit et non par la posture assise en méditation » (D. T. Suzuki : Le Non-Mental, p. 53). Enfin le maître Hui-Haï déclarait : « Je vous ai dit de ne pas vous exercer à la méditation seulement quand vous êtes assis. Quoique vous fassiez, d’une façon continuelle, vous devez être attentif : en marchant, en vous reposant, sans aucune interruption. » (Hui-Haï : The Path to Sudden Attainment, éd. Sidwick et Jackson, London 1948).
Principes du bouddhisme Ch’an, origine du zen
Le bouddhisme Ch’an, origine du zen japonais, n’est ni une philosophie, ni un système de pensée. Il a horreur des spéculations métaphysiques. Certains spécialistes le désignent comme un art de vivre.
Mais quelques précisions s’imposent ici sur le climat très particulier et profond de cet art de vivre. Sans ces précisions, des malentendus nombreux peuvent surgir dans l’esprit des lecteurs. Le bouddhisme Ch’an est un art de vivre intégralement, d’instant en instant, selon la nature profonde des choses. Quoique cette nature soit une unité absolue, elle englobe trois niveaux : un niveau physique : le corps; un niveau psychique : l’ensemble des émotions et des pensées; un niveau spirituel inconditionné, intemporel caractérisé par le jaillissement d’une réalité éternellement présente, neuve et créatrice. Cette distinction en trois niveaux est arbitraire. Elle n’est qu’une concession faite aux exigences de notre esprit d’analyse.
Les enseignements du bouddhisme Ch’an mettent en lumière l’impermanence fondamentale des êtres et des choses. Ils nous montrent comment s’est élaborée la conscience du moi, avec ses peurs, ses violences, ses contradictions. Ils nous suggèrent de prendre conscience de l’ampleur de nos conditionnements, de l’influence de nos mémoires passées sur le présent, du caractère illusoire de la conscience personnelle.
Le bouddhisme Ch’an définit la sagesse comme une obéissance parfaite à « la nature profonde des choses ». Cette obéissance à la nature profonde des choses est entravée en chaque être humain par un vice de fonctionnement de la pensée. La pensée n’est que mémoire, elle porte les empreintes d’un passé dont les origines remontent bien loin dans la nuit des temps. Elle est régie sous le signe de l’habitude, de la répétition.
Le processus de la pensée de la plupart des êtres humains est horizontal, linéaire, continu. Il porte les empreintes indélébiles de processus sans lesquels, ni l’univers matériel, ni l’être humain ne pourraient exister. Depuis l’aube d’un univers existe une tendance unique, toujours la même qui peut se résumer par deux verbes, très proches l’un de l’autre : le verbe avoir et le verbe grandir. Par la conjugaison du verbe avoir, dès les plus timides ébauches de la formation de la matière, les atomes s’associent aux atomes, pour former les molécules. Les molécules s’associent entre elles pour former les grosses molécules, bases des premiers êtres monocellulaires. Les êtres monocellulaires s’associent entre eux pour former les êtres pluricellulaires. Depuis l’atome jusqu’à l’être humain existe cette habitude associative. Celle-ci se poursuit en l’être humain, sur le plan psychologique : l’homme s’associe à des idées, il s’identifie à sa maison, à sa famille, à son pays, à son auto, à son compte en banque, à son club sportif. Ainsi se construit ce moi ayant de sa conscience une impression de solidité, de continuité, de réalité absolue. Telles peuvent être résumées les doctrines essentielles des skanda du bouddhisme traditionnel indien, repris dans le bouddhisme Ch’an.
Mais il n’y a pas d’entité statique et durable, semblable à ce que la plupart des êtres humains éprouvent d’eux-mêmes. Il n’y a, en fait, qu’une succession rapide et complexe de pensées, de moments de conscience en continuel mouvement. Par ignorance et par habitude et manque d’information, nous superposons à ce processus discontinu, impersonnel, la notion arbitraire d’un ego, d’une entité permanente. Cette identification crée en chaque être humain un réseau de tensions, de résistances qui l’empêchent d’être disponible aux énergies les plus profondes du niveau spirituel. Il est donc incapable de réaliser la sagesse, celle-ci consistant en une obéissance parfaite à la nature profonde des choses.
Les maîtres du bouddhisme Ch’an enseignaient diverses notions qui se rapprochent étonnamment de la pensée de Krishnamurti et, tout récemment, des conclusions de savants éminents. Chaque être humain porte en lui, profondément inscrites dans son inconscient et dans ses molécules d’A.D.N., les mémoires de tout le passé de l’univers, sous forme de bilan. Les informations du code génétique ne sont d’ailleurs rien d’autre que ce vaste bilan mémoriel. Ces mémoires contiennent aussi bien les traces de la conjugaison permanente du verbe avoir, avoir plus, de s’associer à, de grandir, de devenir (Tanha dans le bouddhisme) que de dynamismes fondamentaux sans lesquels l’évolution et la conservation des espèces auraient été impossibles. Parmi ces tendances, il y a un instinct naturel de conservation, donc une lutte pour sauvegarder son existence, sa continuité, le déploiement d’efforts pour durer, et, fondamentalement, une peur de se perdre. Ce sont là, les traces mémorielles (les vasana) les plus fondamentales de l’inconscient humain.
Chaque être humain possède donc dans les profondeurs de sa conscience, une zone portant les empreintes mémorielles d’un passé considérable. Cette zone, symbolisée dans nos écritures occidentales par le vieil homme, possède une mémoire obscure de milliards de naissances, d’épanouissements, de morts, d’échecs, de réussites, de joies, de souffrances anonymes illustrant l’histoire de la vie depuis ses plus lointaines origines. C’est de ce centre qu’émanent toutes les résistances, tous les obstacles s’opposant à notre obéissance parfaite à la nature profonde des choses. Ce centre égoïste est dans le temps, dans la continuité, il est limité, conditionné. La nature profonde des choses est intemporelle, discontinue, illimitée, inconditionnée. Ce centre égoïste n’est que le résultat du passé, il porte les empreintes du verbe avoir, s’associer à, devenir, il est régi par des lois mécaniques, répétitives, des habitudes. La nature profonde des choses (le corps de Bouddha — ou Dharma Kaya ou Non-Mental ou Mental cosmique) est le verbe être, elle ne s’associe à rien étant complète en elle-même, elle est étrangère aux lois mécaniques, répétitives, elle est neuve à chaque instant, créatrice.
Les enseignements du bouddhisme Ch’an mettent en lumière tous les conditionnements psychologiques paralysant l’esprit humain : mémoires, processus de choix, actes ou attitudes conditionnés par des réactions personnelles de répulsion ou de préférence. En bref, le bouddhisme Ch’an peut être défini comme la psychologie de l’action créatrice, de la parfaite momentanéité, du comportement adéquat, de la perception globale immédiate. Contrairement à ce qu’ont affirmé certains auteurs, le bouddhisme Ch’an ou zen originel est une psychologie si nous donnons à ce terme son acception universitaire actuelle : une science du comportement.
Quelques caractéristiques de l’éveil intérieur selon le bouddhisme Ch’an
1. Attention parfaite
La devise des maîtres du Ch’an est « présent au présent » « neuf dans l’instant neuf ».
« L’infini est dans le fini de chaque instant » déclarait D. T. Suzuki. Car chaque seconde comporte quelque chose d’unique, d’irremplaçable, qui plus jamais ne se représentera. Chaque seconde, l’être humain pourrait se rendre disponible à la plus extraordinaire bénédiction intérieure de force pure, d’intelligence et d’amour que lui destine la nature profonde des choses. Chaque seconde, les êtres humains pourraient avoir le plus prodigieux rendez-vous de leur existence mais ils le ratent. Ils le ratent parce qu’ils arrivent en retard. Ils arrivent en retard, parce qu’ils sont trop lents, maladroits. Ils le sont parce que leurs pensées sont écrasées sous le poids des mémoires accumulées du passé.
L’obéissance parfaite à la nature profonde des choses requiert une extraordinaire agilité et souplesse de la pensée. Les poids des mémoires, les tensions contradictoires de l’égoïsme, nos avidités, nos ambitions, nos désirs de possession, nos jalousies, nos recherches de sensations constituent autant de résistances psychologiques nous empêchant d’être sensibilisés à nos propres profondeurs spirituelles.
L’expérience de l’éveil intérieur selon le bouddhisme Ch’an nécessite un lâcher prise complet de toutes les avidités de l’ego. Un maître du Ch’an questionné par ses élèves sur la ligne de conduite l’ayant conduit à l’éveil intérieur répondait : « C’est très simple, quand j’ai faim, je mange… et lorsque je suis fatigué, je me repose. » Les élèves, très déçus de cette réponse, répliquèrent : « Mais nous tous, quand nous avons faim, nous mangeons, et lorsque nous sommes fatigués, nous nous reposons, mais pour autant, cela ne nous a pas conduits à l’éveil.
— Ah non ! répondit le maître. Parce que lorsque vous mangez, vous ne mangez que physiquement. Bien que vous soyez occupés à vous nourrir, vous n’êtes pas à ce que vous faites. Où est votre mental ? Occupé à ré-évoquer une circonstance, un plaisir ou une douleur vécus dans le passé? Ou bien vous anticipez imaginativement vers l’avenir! Vous n’êtes jamais là, présents au présent. Lorsque vous vous reposez, il en est de même. Votre mental est plus actif que jamais. Les images du passé défilent sans cesse, ou bien vous imaginez les plaisirs ou les difficultés du lendemain. Vous n’êtes jamais là, présents au présent, dans la momentanéité de chaque instant. »
Le bouddhisme Ch’an nous suggère la réalisation d’une attention parfaite. Celle-ci requiert une attitude mentale au cours de laquelle, les pensées sont en relation adéquate avec les circonstances vécues, dans la momentanéité de celles-ci. En d’autres termes, il faut être à ce que l’on fait. Ce conseil, d’apparence très simpliste, peut avoir d’énormes conséquences si, vraiment, nous l’appliquons. Mais, très rares sont ceux qui l’appliquent constamment.
Le fonctionnement familier de la pensée humaine entraîne une perte d’énergie considérable. D’une part, la conscience subit l’emprise d’un lointain passé dont les pensées ne sont que l’écho, d’autre part, les êtres humains se projettent imaginativement dans l’avenir. Le présent n’est pour eux qu’un passage tellement bref, qu’il passe inaperçu, alors qu’il contient un principe d’intemporalité dont les possibilités sont immenses. Les énergies de la conscience sont éparpillées, diluées dans une sorte d’étirement horizontal. Elles n’ont de ce fait aucune acuité. Le bouddhisme Ch’an suggère la réalisation d’une convergence de toutes les énergies de la conscience dans la momentanéité de chaque instant. C’est un processus vertical.
Cette continuelle présence au présent confère à la conscience une capacité d’attention d’une extraordinaire acuité naturelle. L’être humain tend à coller littéralement à chaque instant présent, non dans un sens statique et figé mais dans une attitude de souplesse qui peut paraître paradoxale. L’acuité même de cette perception globale immédiate le délivre de l’attachement aux circonstances antérieures.
Dans le début, la pratique requiert un réajustement constant : l’être humain se surprend constamment être l’objet de pensées qui n’ont rien de commun avec les circonstances présentement vécues. Peu à peu, s’installe une sorte d’automatisme d’attention qui, finalement, aboutit à la réalisation d’une capacité naturelle d’éveil dont l’acuité s’étend aux grandes profondeurs de la conscience. Finalement, l’intensité de la conscience se joue des mots et des images qui prétendaient la contenir. Elle dissout et dépasse tous les cadres y compris la dualité de l’observateur et de l’observé. L’attention suprême ne part plus de la périphérie. Elle émane du seul grand sujet, l’unique : le corps de Bouddha, le Dharma Kaya, le corps de vérité, la claire lumière cosmique ou le Sat-Chit-Ananda suivant les écoles.
2. Le sens de « retourner chez soi »
L’éveil intérieur ne consiste pas en l’acquisition de nouveaux biens. Il résulte plutôt d’une dissolution et d’une libération de tous les biens et possessions mentales inutiles. Cette expérience est en fait la plus simple, la plus naturelle qui puisse exister. Elle confère le sentiment d’une paix intérieure inébranlable qui n’est pas construite artificiellement par un acte de volonté auto-protectrice du moi. En cet état se révèle la signification suprême de l’amour, de la liberté véritables. Les tensions résultant des désirs continuels de grandir, d’avoir, de devenir (Tanha) étant dissipées, seules subsistent la paix et la sérénité de l’être des profondeurs. Nous étant libérés des voiles de l’illusion et de la magie des mirages adorés par la multitude douloureuse des hommes, nous nous sommes pleinement révélés à nous-mêmes, tels que, sans le savoir, nous étions de toute éternité.
Telles sont les raisons pour lesquelles les maîtres Ch’an de l’éveil désignent tout simplement l’ensemble de ce processus par cette très brève expression : « Retourner chez soi »… Le sens profond du retourner chez soi se trouve évoqué dans le célèbre poème du maître Ch’an, T’sen T’sang : « Lorsque les dix mille choses sont vues dans leur unité nous retournons à l’origine et restons ce que nous sommes. »
Les Occidentaux comprennent difficilement que l’éveil intérieur ne consiste pas en l’acquisition de nouveaux biens mais en la simple découverte d’une réalité que l’on porte en soi. Ainsi que l’exprime D. T. Suzuki : (Le Non-Mental, p. 103, Paris 1953, éd. Cercle du livre). « Nous sommes déjà des bouddhas. Parler d’atteindre quoique ce soit est une profanation, et, logiquement, une tautologie. »
Nous nous trouvons ici en présence d’une des conséquences des enseignements du bouddhisme Ch’an de la voie abrupte. Celui-ci adopte une technique d’approche dite négative. Telle est l’attitude des éveillés authentiques et notamment celle qu’adopte actuellement Krishnamurti. La voie dite négative n’est négative qu’en apparence. Elle est en fait positive par excellence parce qu’elle nous évite le marché des dupes dont sont victimes les êtres humains identifiés à leur ego et se croyant en sécurité dans l’acquisition soi-disant positive de leurs biens spirituels, intellectuels ou matériels. C’est d’un tel climat que s’inspire le maître Hui-Haï lorsqu’il déclare : « La réalisation du corps suprême (mental-cosmique) réside dans le fait de ne pas atteindre ou réaliser quoi que ce soit de nouveau. Ceux qui considèrent avoir réalisé ou atteint quoi que ce soit sont des personnes adoptant une mauvaise façon de voir. Il est dit dans le Vimalakirti Sûtra, lorsque Sâripûtra questionna Dévakanya : « Qu’avez-vous atteint et qu’avez-vous réalisé pour atteindre votre présent état ? » Dévakanya répondit : « Je n’ai rien atteint et je n’ai rien réalisé pour aboutir à mon présent état. Si j’avais atteint ou si j’avais réalisé quelque chose, je serais devenu une personne opposée à la Loi… » (in The Path to Sudden Attainment).
Impersonnalité de l’éveil
L’impersonnalité de l’éveil ne doit pas être confondue avec un état d’indifférence ou de léthargie. Bien au contraire. Le fond essentiel de l’expérience Ch’an ou zen est une plénitude de conscience universelle, libre, inconditionnée, intemporelle, omniprésente, autogène. Le climat spirituel du bouddhisme Ch’an et des formes supérieures du zen peut être éclairé par une étude des commentaires de ce que certains spécialistes, tels D. T. Suzuki et le Dr Hubert Benoît appellent « l’inconscient zen ».
Ce dernier peut être décrit sous trois aspects complémentaires, quoiqu’il échappe évidemment à toute description précise.
Premièrement : l’inconscient zen est une conscience pure, infinie, entièrement libérée de l’emprise des mémoires et de toutes valeurs sensorielles empruntées à l’univers spatio-temporel. C’est une conscience infinie, inconsciente d’elle-même et située dans une super-dimension essentielle qui englobe et domine toutes les autres dimensions connues. L’inconscient zen étant de la nature de Bouddha est complet en lui-même et n’a nul recours à des objectivations semblables à notre conscience personnelle. Celle-ci est épiphénoménale, conflictuelle, faite de tensions contradictoires. L’Inconscient zen est nouménal. Il est le noumène lui-même. Le terme inconscient a été choisi de propos délibéré par les spécialistes afin de marquer la différence qui l’oppose à notre conscience familière, objectivée, très consciente d’elle-même. Mais le terme inconscient n’a ici aucun point commun avec l’inconscient des psychologues. Il ne s’agit pas d’un néant, ni d’un état confus mais au contraire d’une plénitude.
Deuxièmement : l’une des caractéristiques de l’inconscient zen est la non-fixation. C’est un processus de création perpétuellement présente et neuve. Il est l’essence d’une vie qui dépasse et englobe la vie et la mort biologiques que nous connaissons.
Troisièmement : l’inconscient zen, quoique formant l’essence ultime des êtres et des choses possédant des formes multiples, les dépasse et en est totalement libre. Le sixième patriarche Hui-Neng déclare à ce propos : « Par absence de forme, on entend être dans une forme et pourtant être détaché de cette forme; par inconscient on entend avoir des pensées et pourtant ne pas les avoir (c’est-à-dire ne pas y être attaché) ; quant à la non-fixation, c’est la nature primordiale de l’homme (le mental cosmique). 0 mes bons amis, si le mental n’est pas altéré, cependant qu’on est en contact avec toutes les conditions de la vie, c’est là être inconscient (dans le sens supérieur de l’éveil) ; c’est être toujours détaché, dans sa propre conscience, des conditions objectives. » (D.-T. Suzuki, Le Non-Mental.)
C’est en cela que réside l’un des aspects pratiques du bouddhisme Ch’an ou vrai zen vivant.
Il peut se résumer comme un art de vivre nouménalement parmi les phénomènes tel que le suggère Wei Wu Wei, ce qui correspond à l’enseignement actuel de Krishnamurti, nous suggérant de vivre fondamentalement au niveau de l’inconnu intemporel des profondeurs tout en étant dans le monde du connu. Tel est le sens dans lequel nous devons comprendre la définition du bouddhisme Ch’an ou du zen comme un art de vivre intégralement.
Vivre intégralement au niveau physique par l’épanouissement de toutes les possibilités du corps humain, par la découverte de la sagesse instinctive présidant au fonctionnement harmonieux du corps. Cette sagesse instinctive du corps est elle-même la manifestation d’une certaine intelligence de l’essence de la matière. Sa présence nous est voilée par l’excès d’intellectualité et les rythmes d’une vie qui n’est plus conforme aux lois profondes de la nature. La redécouverte de cette sagesse instinctive du corps et son épanouissement peuvent être aidés par l’adoption d’un rythme de vie plus sain et conforme aux lois de la nature, par une hygiène alimentaire plus stricte, par la suppression de tous les excès.
Vivre intégralement au niveau psychologique implique la réalisation d’un certain silence intérieur et d’une élimination de toutes les tensions, de toutes les violences, de toutes les avidités, de toutes les peurs de l’ego. Une telle réalisation confère à la pensée et au cœur une qualité de sensibilité supérieure, une souplesse leur permettant d’être pleinement disponibles à l’extraordinaire intensité émanant du niveau spirituel.
Vivre intégralement au niveau spirituel se réalise dès l’instant où le mirage de l’ego est dissous, où les fausses identifications, les fausses valeurs et les tensions sont dissipées. Dès lors, le noumène spirituel occupe la place de priorité qui lui revient de plein droit. L’être humain, libéré des mirages de l’ego s’éveille à la vie intense.
L’impersonnalité de l’éveil intérieur suggéré par le bouddhisme Ch’an ou le zen véritable ne conduit pas l’être humain vers un état d’inertie, de léthargie. Ce serait commettre une grave erreur de supposer, comme l’ont fait certains, que de telles expériences nous conduisent vers des états vagues, nébuleux, infra-intellectuels, voisins de l’incohérence. C’est pour de telles raisons que le penseur indien Krishnamurti, dont les enseignements sont très proches du bouddhisme Ch’an, utilise intentionnellement le mot passion lorsqu’il évoque la vitalité de l’impersonnalité authentique. Il n’est pas question ici de la passion de quelqu’un pour quelque chose, ni de la passion d’un être humain pour un autre être humain. Krishnamurti utilise le terme passion pour bien mettre en évidence l’intensité intérieure exceptionnelle de l’état sans ego.
L’intensité intérieure de l’état d’éveil appelé satori dans le zen ou nirvana dans le bouddhisme indien est exposée par les maîtres du Ch’an au moyen d’exemples classiques parmi lesquels nous citons le suivant. Lorsque nous rêvons, les personnages de nos rêves sont pour nous réels. Ils peuvent nous occasionner des rêves agréables ou des visions de cauchemar. Mais nous remarquons qu’un certain seuil d’intensité, soit dans la douleur, soit dans le plaisir ne peut être dépassé. Lorsque ce seuil d’intensité est dépassé nous nous réveillons automatiquement. Les anciens maîtres du bouddhisme indien et de l’École de la contemplation Dhyana dont le Ch’an est l’émanation fondue au taoïsme, enseignaient qu’il existe une égale distance entre la condition de rêve et celle de l’état de veille ordinaire d’une part, et d’autre part, entre l’état de veille ordinaire et l’état d’éveil intégral ou satori. Et de même qu’une trop grande intensité de douleur ou de plaisir, éprouvée durant le rêve, nous délivre de celui-ci, de même, une convergence de toutes les énergies dans la momentanéité de chaque instant, nous délivre des limites de l’état de veille ordinaire pour nous révéler l’état d’éveil fondamental. Encore faut-il préciser que le caractère final d’intensité n’est plus celui de l’ego mais du mental cosmique qui s’exprime en lui et par lui, grâce à sa disponibilité.
L’éveil intérieur : état naturel
L’éveil intérieur évoqué par le bouddhisme Ch’an et le zen véritable n’a rien de mystérieux, d’inaccessible, de surnaturel. Les éveillés authentiques de tous les temps le définissent comme l’état naturel, parfaitement normal. Dans son introduction à l’excellent ouvrage intitulé La Doctrine suprême du zen écrit par le docteur Hubert Benoît, le Swami Siddheshwarananda déclarait : « Les êtres humains anormaux sont les angoissés. L’être humain normal est celui qui est libéré de l’angoisse… Un immense fossé sépare l’homme naturel de l’homme normal. L’esprit scientifique refuse toute assertion postulant ce qui ne peut pas être vérifié ou contrôlé. Dire qu’un homme est normal est une réalité, c’est une assertion qui doit être vérifiée par nos tests intellectuels. Pour rares qu’en soient les exemples offerts à notre observation, il est tout à fait anti-scientifique de se refuser à admettre la notion de l’homme normal faute du soutien des statistiques… Le Dr Benoît a le courage de déclarer que seul, l’homme qui a obtenu le satori (ou sambodhi) est l’homme normal. Hitler a brûlé six millions de juifs pendant une certaine période, une partie de l’humanité, devenue hystérique, considéra comme anormal quiconque soutenait une autre opinion que celle imposée par l’État nazi. Le témoignage statistique niait l’homme qui avait des vues saines. De même, considérer, parce que nous sommes tous plus ou moins anormaux, l’homme du satori comme un anormal, est un comble de sottise. »
Le caractère vivant, actuel et naturel de l’éveil intérieur se trouve évoqué dans le fameux dialogue entre King et Paloti reproduit dans Les Annales de la transmission de la lampe :
« King : Qu’est-ce que l’état de Bouddha ?
Paloti : — Voir la nature de la réalité est l’état de Bouddha.
King : — Voyez-vous cette nature ?
Paloti : — Cette nature est acte pur…
King : — « Qui » agit? Je ne comprends pas?
Paloti : — Je la vois.
King : — Quelle est cette nature ?
Paloti : — L’acte est parfaitement ici. Vous ne le voyez pas simplement.
King : — L’ai-je en moi ?
Paloti : — Vous êtes l’acteur maintenant et vous l’êtes en toutes circonstances… Lorsque vous n’êtes pas, la substance elle-même ne se perçoit pas…
King : — Où l’acte peut-il être localisé?
Paloti : — Lorsqu’on est dans le sein, il est le corps; lorsqu’il est dans le monde extérieur, il est l’homme; avec les oreilles il entend; avec le nez, il sent, avec la bouche il parle. »
Ce langage simple et direct nous replace dans le cadre de la nature et nous montre que c’est ici même que nous devons nous accomplir en respectant ses lois, cependant assez différentes de celles élaborées par notre ego. Ainsi que l’écrit le maître zen Nyogen Senzaki : « Si vous ne parvenez pas à trouver la réalité où vous vous trouvez, où espérez-vous la trouver ?… »
Le professeur Suzuki et Miss Okamura et Mr. Linssen en visite
à
Bruxelles
Le Bouddhisme Zen par Robert Linssen
(Doctrine positive d’enrichissement spirituel et social)
(Revue Synthèses Numéros 140-141, Janvier-Février 1958)
http://www.revue3emillenaire.com/blog/le-bouddhisme-zen-par-robert-linssen/
La religion du peuple chinois résulte d’un syncrétisme de provenance complexe dont la formation s’est amorcée principalement sous la dynastie des T’ang (618-907). Certains éléments de ce syncrétisme remontent à des périodes infiniment plus lointaines.
Au Confucianisme et au Taoïsme déjà intimement liés au Bouddhisme s’ajoutèrent des religions et des croyances étrangères totalement inconnues jusqu’alors en Extrême-Orient, telles l‘Islamisme, le Mazdéisme, le Manichéisme et le Nestorianisme.
Dans cet ensemble complexe la doctrine du Bouddha occupe néanmoins une place prépondérante.
Il semble de plus en plus évident que Bodhidharma (480-528), ce véritable géant de la révolution spirituelle du Bouddhisme chinois, doit être considéré responsable de l’essor extraordinaire de toute la pensée d’Extrême-Orient par le rayonnement important qu’il donna au Bouddhisme Ch’an (le Zen actuel) dont il est le fondateur.
Sans lui, le Bouddhisme n’aurait jamais connu la renaissance spirituelle profonde qui se développa dans toute la Chine et s’étendit ensuite au Japon.
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Antécédents du Bouddhisme Zen :
Nous employons le terme « Zen » quoiqu‘il soit spécifiquement japonais.
Il est le signe conventionnel, partout reconnu, sous lequel les spécialistes désignent le Bouddhisme Ch’an fondé en Chine au VIe siècle après J.C. Le terme Ch’an correspond au « Dhyâna » sanscrit généralement traduit par « Méditation ». La signification véritable de « Dhyâna » et par conséquent de Ch’an et Zen est à la fois infiniment plus vaste et profonde. Pour Hui-Neng « Dhyâna » signifie détachement; méditation et détachement sont inséparables.
La période « pure » du Zen se situe entre les VIe et XIVe siècles de l’histoire chinoise. L’unanimité n‘est pas acquise quant à la perpétuation de cette pureté dans les écoles japonaises actuelles.
Le Zen doit être considéré principalement comme une synthèse des éléments les plus purs du Bouddhisme Mahayaniste et des Taoïsme et Confucianisme.
Les auteurs spécialisés en la matière, et notamment D.T. Suzuki, N. Senzaki, S. Ogata, Alan Watts et Chr. Humphreys considèrent le Zen comme le sommet du Bouddhisme, ayant retrouvé assez paradoxalement, la pureté et la profondeur des premiers enseignements du Bouddha, mille ans après la mort de celui-ci.
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Gautama Siddhârta, prince du Népal (le Bouddha) naquit aux Indes dans la ville de Kapilavastu vers l’an 560 av. J.C. Renonçant à la couronne et à la gloire il se consacra à la recherche de la Vérité.
Déçu par les brahmanes, les lettrés et les pratiques rituelles, il rechercha la clé des grands mystères de l’existence, les causes de la douleur, de la vie et de la mort, en lui-même et par lui-même. Ayant atteint le but de sa recherche lors de son « Eveil » ou « Illumination » il fut surnommé « le Bouddha » (l’Eveillé). Parcourant toute l’Inde il prêcha la doctrine durant un demi-siècle.
Après avoir favorisé l’épanouissement d’une des civilisations les plus belles de l’histoire sous l’Empereur Açoka (274-236 av. J.C.) le Bouddhisme déclina rapidement aux Indes.
Deux moines indiens, Matanga et Bhorana l’introduisirent en Chine dans la ville de Loyang vers l’an 65 ap. J.C.
Le Bouddhisme était alors divisé en deux grandes écoles : le Hinayana ou Petit Véhicule (Ancienne Ecole de Sagesse) et le Mahayana (Grand Véhicule) ou Nouvelle Ecole de Sagesse, apparu vers le IIe siècle av. J.C.
Parmi les différences essentielles des deux écoles nous signalerons que
1°) Dans l’Ecole du Petit Véhicule ou Hinayana (basée sur les textes Pâli), le Nirvâna (ou l’expérience d’illumination spirituelle) ne peut être réalisé qu’en dehors du Samsâra (monde manifesté-roue des morts et naissances successives).
2°) Selon l’Ecole du Grand Véhicule ou Mahayana, le Nirvâna et le Samsâra sont les faces apparemment opposées mais complémentaires d’une seule et même Réalité. Il n’y a pas d’opposition ni de séparation entre l’esprit et la matière. « Nirvâna » est « Samsâra » et réciproquement (1).
1°) Les Ecoles du Petit Véhicule sont généralement attachées aux textes et rituels. Elles enseignent souvent que le Nirvâna n’est pas accessible durant la vie physique.
2°) Les Ecoles du Grand Véhicule et surtout le Zen tendent à se dégager de l’emprise des textes et des rites. Elles conseillent une participation active à la vie tout en insistant sur la liberté, la non-identification et le détachement vis-à-vis des apparences matérielles. Dès l’instant où le «Nirvâna» est atteint, le Bouddhiste du Mahayana désire en faire bénéficier la société.
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L’étude du Tao est indispensable à la compréhension du mysticisme chinois et du Zen. Ce dernier s’est profondément imprégné des éléments les plus purs du taoïsme.
Lao-Tzu, fondateur du Taoïsme vécut au Ve siècle av. J.C. On lui attribue le «Tao-Te-Ching, recueil d’aphorismes exposant les principes du Tao.
Signalons ici que les philosophes chinois assignent au Taoïsme et au Confucianisme une origine antérieure à celle généralement admise par les Occidentaux. Les œuvres de Lao-Tzu et de Confucius (Kong-Fu-Tzu) seraient l’aboutissement d‘un ouvrage fondamental ; le «I Ching » ou «Livre des Changements». Le «I Ching» datant d’environ 3000 à 1200 av. J.C. est considéré comme l’élément central de toute la pensée, la culture et la psychologie chinoise. Les Occidentaux l’ont considéré avec quelque dédain comme un simple livre de « divination ». Le «I Ching » consiste en un ensemble de représentations symboliques basées sur les dispositions variées de soixante quatre figures composées chacune de six lignes. Ces lignes sont de deux espèces : négatives, lorsqu’elles sont divisées; positives lorsqu’elles sont continues. Les Chinois enseignent que ces hexagrammes ont eu pour origine d’inspiration les différentes craquelures apparaissant sur une carapace de tortue lorsqu’elle est chauffée.
Encore faut-il dire que pour le Chinois, l’étude des différents symboles en question n’est évidemment qu’un prétexte en vue d’obtenir la libération des contenus de l‘inconscient et d’arriver à certains états de perception intuitive. Il n’y a pas lieu de discréditer systématiquement ces pratiques anciennes.
Les psychanalystes modernes procèdent de même lors de l’utilisation des tests de Rorschach, au cours desquels les conditionnements psychologiques d’un patient sont diagnostiqués en fonction des images qui se présentent spontanément à son esprit à la vue des formes irrégulières d’une simple tache d’encre.
Ainsi que l’exprime l’éminent orientaliste Alan W. Watts « II semble que si les origines profondes du Taoïsme doivent être recherchées dans le ‘ I Ching ‘ ce n’est pas tant dans les textes mêmes de l’ouvrage qu’elles se situent mais surtout dans l’attitude d’esprit particulière avec laquelle il était approché» (2).
Cette attitude d’esprit est l’une des bases essentielles du Taoïsme offrant d’ailleurs une similitude profonde avec le Bouddhisme. C’est la spontanéité, l’exercice d’une intuition pure s’exprimant sans aucune interférence mentale. Tel est le premier principe du Taoïsme.
Lao Tzu déclarait en effet que « le principe du Tao est la spontanéité ».
L’Univers ne résulte pas de l’exécution d’un plan prédéterminé. Loin d’être une absence d’intelligence ou une incohérence, cette non-détermination, cette spontanéité et cette liberté sont l’expression d’une des plus hautes formes de l’intelligence.
Le second principe du Taoïsme nous donnant la clé essentielle du mysticisme chinois est celle du « Wei-Wu-Wei ». Ce second principe est lié au premier. « Wei » signifie agir, « Wu » est négatif ou privatif, le second «Wei» signifie « faire ». Ceci nous donne « agir sans faire » et nous semble de prime abord absurde.
Le premier « Wei » désigne en réalité l’action par excellence : l’action du Tao ou Principe suprême. Le « Wu-Wei » correspondant au « sans faire » s’applique à la passivité du « moi ». Il évoque la nécessité d’une pause et d’un silence parmi les agitations du « moi », parmi ses confections mentales stériles. Ceci correspond d’ailleurs étrangement à ce qu’un penseur indien moderne, Krishnamurti, désigne par la « passivité créatrice ».
L’œuvre krishnamurtienne est d’ailleurs la seule qui ait une similitude parfaite avec les enseignements du Tao et du Zen, Krishnamurti s’étant totalement affranchi de ce que nous appellerons « la psychologie indo-européenne ».
La « passivité créatrice » du Tao n’est pas négative. Lao Tzu l’a précisé très clairement dans le Tao Te Ching : « Quoique le Tao n’ait aucun but, il ne laisse rien inachevé » et L’homme du Tao, dégagé de l’emprise des actions » (à but personnel) permet «à l’empire (du Réel) d’être Sa propre loi en lui » (3).
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Naissance du zen
Vers l’an 520 ap. J.C. un moine indien nommé Bodhidharma (480-528) se rendit en Chine. Il espérait y trouver des communautés bouddhistes fidèles à l’esprit profond des enseignements du Bouddha.
Une chose importait avant toute autre pour Bodhidharma la réalisation effective de l’état d’Eveil ou « Bouddhéité ». Aux yeux du maître indien le bouddhisme était un état de religion vivante impliquant une libération de l’esprit à l’égard des rites, des écritures, des spéculations intellectuelles.
Lorsqu’il prit contact avec les milieux bouddhistes de Chine, Bodhidharma éprouva une amère déception. Il ne trouva parmi eux que des lettrés, des érudits n’ayant aucune expérience spirituelle authentique. Aucun d’eux n’avait réalisé une approche même modeste de l’état «Non-Mental» dont les éléments se trouvaient pourtant admirablement définis dans le Lankavatara Sûtra (où se trouve exposée la doctrine de «la force d’inertie des habitudes mentales ») et, dans le Vajracchedika Sûtra (où se trouvent définis les processus de la conscience cosmique Non-Mentale et la Doctrine du Diamant de l’Eclair Eternel).
Bodhidharma entreprit alors une véritable croisade contre l’état de léthargie spirituelle dans lequel se trouvaient les chefs bouddhistes. Il discuta de la question avec ces derniers en présence de l’Empereur Wu mais il se heurta à une incompréhension totale. II se retira ensuite au Temple de Shorinji dans le Nord de la Chine durant neuf années.
Désormais enrichi d’une illumination intérieure définitive Bodhidharma reprit alors sa campagne en faveur d’une renaissance du Bouddhisme vivant.
Il définit alors le Zen comme :
« Une transmission orale en dehors des écritures. »
« Aucune dépendance à l’égard des mots et des lettres. » « Une recherche directe vers l’essence de l’homme.»
« Voir dans sa propre nature et atteindre l’Eveil parfait (Bouddhéité).»
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La place nous manque évidemment pour donner un aperçu historique complet du Zen. Signalons cependant qu’avec Bodhidharma le Bouddhisme connut une des périodes les plus brillantes de son histoire depuis la mort de Bouddha. Toute une lignée de patriarches illustres succéda à Bodhidharma parmi lesquels nous mentionnerons Houeï-k’o (593), Tsen-T’sang (606) auteur d‘un poème immortel : le Hsin-Hsin-Ming, Tao-Shin (580-651), Hung-Jen ou Cinquième Patriarche (601-675), Hui-Neng (638-712) le Sixième Patriarche connu au Japon sous le nom de Wei-Lang ou Daikan-Eno) et plus tard Yung-Shia, Hui-Haï.
Les œuvres de Hui-Neng sont considérées au même titre que celles du Bouddha comme des Sûtras. La façon originale dont Hui-Neng se fit connaître situe l’un des climats spécifiques de la pensée Zen.
Le Cinquième Patriarche Hung-Jen avait reconnu en Hui-Neng un homme ayant parfaitement réalisé la Bouddhéité. Il souhaitait secrètement qu’Hui-Neng puisse devenir son successeur. Mais une énorme difficulté restait à résoudre (4). Hui-Neng n‘était qu‘un simple laïque, illettré, dépourvu d‘érudition. Hung-Jen, le Cinquième Patriarche était le chef spirituel d’un vaste monastère où vivaient cinq cents moines lettrés, dont beaucoup étaient imbus de la prétendue supériorité conférée par toute érudition. Certains d’entre eux convoitaient la succession du Cinquième Patriarche. Hung-Jen, parfaitement conscient des données du problème, suggéra à Hui-Neng de se présenter au monastère comme simple laïc cherchant du travail. Il pourrait trier et broyer le riz destiné aux moines dans les greniers du monastère. C’est ce qu’il fit immédiatement.
A ce moment, le Cinquième Patriarche annonça solennellement aux cinq cents moines vivant sous sa direction qu’il désirait nommer son successeur.
Quiconque lui présenterait une stance ou un poème exprimant parfaitement l’esprit du Zen serait instantanément désigné comme Sixième Patriarche.
Le moine Jin-Shu, le plus savant de la congrégation composa les vers suivants :
« Ce corps est l’Arbre de Bodhi
» Et l’esprit est comparable à un miroir clair posé sur un support
» Balayons-le constamment
» Et ne laissons aucune poussière s’accumuler sur lui. »
Cette stance ne fut toutefois pas approuvée par Hung-Jen. Le Cinquième Patriarche estimait qu’elle n’exprimait pas un état d’illumination véritable. Au surplus, cette image avait été employée par Chuang-Tzu, le principal successeur de Lao-Tzu, fort longtemps avant le moine Jin-Shu.
Tandis que tous les moines du monastère discutaient entre eux du refus des vers composés par Jin-Shu, Hui-Neng demanda à l’un d’eux de lui montrer l’inscription se trouvant sur le mur du grand hall du monastère.
Etant illettré il ne parvint pas à la déchiffrer et pria un moine de la lui lire.
Après avoir écouté attentivement le poème de Jin-Shu, Hui-Neng pria un moine de l’accompagner durant la nuit et lui dicta les vers suivants :
«La Sagesse ne connaît aucun arbre qui puisse croître
» Et le miroir ne repose sur aucun support
» Depuis le commencement rien n’existe
» Où, la poussière pourrait-elle s’accumuler. »
Dès le lendemain, les moines stupéfaits se groupèrent après avoir pris connaissance de l’inscription de Hui-Neng. Certains la jugèrent insolente.
Cependant, la nuit suivante, le Cinquième Patriarche remit à Hui-Neng la robe et le bol de Bodhidharma. Ceux-ci étaient considérés comme les symboles de la transmission spirituelle dont le Sixième Patriarche devait être porteur. Hui-Neng quitta le monastère durant la nuit, dans le plus grand secret. Il entreprit ensuite de nombreux voyages au cours desquels il parvint à donner au Zen la plénitude de son rayonnement.
L’époque glorieuse du Bouddhisme Zen chinois se situe entre les VIe et XVIe siècles durant les périodes T’ang, Sung, Yuan et Ming de l’histoire chinoise. La phase la plus pure se situe surtout au temps de la dynastie T’ang.
Remarquons ici que le plein épanouissement du Bouddhisme en Chine après son déclin aux Indes pourrait également s’expliquer par le fait que son fondateur, Gautama le Bouddha n’était pas spécifiquement indien. Les origines mongoles de la dynastie des Cakyas ne font actuellement plus aucun doute.
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C’est au XIIIe siècle que le Bouddhisme Ch’an pénétra au Japon durant la période Kamakura de l’histoire japonaise. Dès lors il porta le nom de Zen. Le Zen japonais est divisé en de nombreuses écoles dont les principales sont :
1. La secte Rinzaï; 2. La secte Soto; 3. La secte Ummon; 4. La secte Igyo; 5. La secte Hogen.
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Le Zen est-il une religion?
A la question de savoir ce qu’est le Zen, le professeur Sohaku Ogata répondait : « Le Zen c’est la vie elle-même ». Il a horreur des spéculations métaphysiques. Il se défend même d’être un système philosophique. Nous pourrions le définir comme une technique d’action adéquate, harmonieuse, éclairée par un éveil total de la conscience dans l’instant présent. Encore faut-il dire que les maîtres Zen sourient à la vue de nos tentatives de définition et de mise en catégories. La Vie ne se définit pas ! Le Zen n’est pas une religion si nous accordons à ce terme la signification donnée par le Larousse, à savoir « l’ensemble des obligations dans lesquelles se trouvent les fidèles, de témoigner un culte à la divinité».
Le sens d’obligation, de coercition, les cultes tels que nous les concevons en Occident sont totalement étrangers au Zen « pur ». La notion de divinité — nous le verrons ultérieurement — doit être approchée avec de grandes réserves si nous voulons éviter des malentendus.
Si par religion, nous entendons l’établissement d’un lien vivant entre la Réalité Suprême de l’Univers et nous-mêmes, le Zen peut être une religion.
Mais encore faut-il dire que cette Réalité Suprême est dépouillée de tout anthropomorphisme, qu’elle est notre être vrai et l‘être vrai de toutes choses. Peut-on dès lors parler d’un lien ? L’idée de « lien » pose a priori l’existence d’une séparation entre deux éléments distincts tandis que le Zen insiste sur le caractère rigoureusement moniste de l‘intégration. « Nous sommes la Réalité» nous enseigne le Zen et pour cette raison nous ne pouvons la découvrir qu’en nous-mêmes et par nous-mêmes, sans intermédiaire, sans dogme, sans rite, sans autorité spirituelle.
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Le Zen est la religion de l’Eveil. Il est l’ultime aboutissement des admirables paroles du Bouddha : « La vigilance et la lucidité sont les voies de l’immortalité. La négligence est la voie de la mort. Les négligents sont déjà comme s’ils étaient morts. ».
Le Zen nous suggère donc de nous affranchir de l’état de négligence généralisée dans lequel nous nous trouvons. Cette négligence résulte de l’abus d’une faculté déifiée par l’occidental : l’intellect.
L‘Eveil du Zen est un état de conscience permettant un comportement parfaitement adéquat.
L‘adéquacité parfaite ou « Action Juste» résulte de la pratique de la « Vue Juste ». Cette dernière est un des éléments fondamentaux du Bouddhisme en général et du Zen en particulier.
La « Vue Juste » consiste à voir directement — sans interférence mentale — la Réalité profonde de l’Univers (et de nous-mêmes) au delà des apparences superficielles.
Cette vision de l’Unité des profondeurs, située à la fois au-delà et au « dedans » des apparences multiples, implique une connaissance parfaite de nous-mêmes. Cette « Vue Pénétrante » est le « Satori » du Zen ou « vision de la soi-nature ».
Quels sont les éléments fondamentaux de la doctrine de la « Vue Juste»?
Ils nous enseignent « l’impermanence des agrégats d’éléments ». Tout se meut. Tout se transforme. Rien n’est immobile.
L’apparente fixité de la matière résulte d’une superposition complexe de mouvements extraordinairement rapides : mouvements moléculaires, mouvements des révolutions électroniques autour du noyau atomique, mouvements plus prodigieux encore au sein du noyau atomique lui-même.
L’immobilité apparente de la matière résulte « d’un manque de pénétration nous dit le Fo Sho Hing Tsang King ». « Le disciple entrainé dans l’art de la « Vue Juste» discerne la discontinuité des profondeurs au delà de l’apparente continuité de surface.
La doctrine de la « Vue Juste » enseigne qu‘un même processus est responsable de l’apparente continuité de la matière et de celle de la conscience.
L’impression de continuité de la conscience personnelle résulte d’une succession extraordinairement rapide de pensées. Le sentiment familier de glissement uniforme et continu de la conscience dans la durée résulte d’une absence de « Vue Pénétrante ». La conscience personnelle est au contraire discontinue. Il existe entre les pensées; apparemment continues, des vides interstitiels dits « Vides de Turya ».
La doctrine de la Vue Juste contient depuis de nombreux siècles des éléments d’une richesse de contenu extraordinaire auxquels la physique et la psychologie moderne de l‘Occident viennent d’accéder tout récemment, éléments bien entendu généraux et de « fond » et non éléments de détail.
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A la question de savoir si le Bouddhisme est une religion ou une philosophie nous répondrons donc qu’il semble être une science du Réel en insistant sur le fait que ce Réel est autant esprit que matière, qu’il est Acte Pur s’intégrant à la vie pratique.
Ni l’analyse intellectuelle, ni l’induction, ni la déduction ne permettront la découverte de cette Réalité. L’Eveil n’est atteint que par le silence de nos opérations mentales, de nos «a priori intellectuels de nos éléments de comparaison, de nos mémoires ».
Le Zen est essentiellement pratique. Il est un pragmatisme dialectique.
Son approche «Non-mentale» des faits quotidiens n’a rien de commun avec un état «infra-intellectuel» contrairement à ce qu’affirme Robert Kemp. L’apparente négativité du Bouddhisme a pour rançon la forme la plus pure de l’intelligence. Force nous est ici de dénoncer l’inexactitude des affirmations de certains auteurs prétendant à l‘inexistence d‘une psychologie dans le Bouddhisme.
Le Zen est un art de vivre. Il est aussi une science de la vie. Mais cet art et cette science sont le fruit d’une profonde maturité psychologique et spirituelle.
Le Zen est la science naturelle suprême ayant pour objet non seulement l’étude mais surtout l’expérience de la nature profonde de l’homme et de l’Univers. Cette nature totale englobe les éléments spirituels, psychologiques et matériels. Elle est une totalité homogène dont l’esprit et la matière sont les faces opposées et complémentaires. Mais Elle est, en Elle-même totalement différente de ce que nous concevons comme esprit ou matière.
Cette Totalité-Une est désignée dans les textes par les expressions suivantes suivant les auteurs et les Ecoles : «Corps de Bouddha» (bouddhisme ancien), «Dharmakaya» (idem), l’« Etre Originel » (Hui-Neng), «Mental Cosmique» (Hui-Neng), «Base du Monde» (Grimm), le « Vide» (toutes les Ecoles), «L’Inconscient Zen » (D.T. Suzuki), etc.
Elle est éternellement présente. La nécessité de sa découverte en nous-mêmes et en toutes choses, au cœur de chaque instant présent nous a conduit à considérer le Bouddhisme Zen comme la «Doctrine de la parfaite momentanéité ».
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Le rôle de la pensée dans le Zen
C’est à tort que la plupart des Occidentaux ont attribué au Zen un rejet systématique de l’activité mentale. Il assigne à celle-ci la juste place qu’elle doit occuper dans l’ensemble de nos fonctions psychiques. Ceci se trouve amplement exposé dans l’ensemble des œuvres de Hui-Neng (5).
Le Zen s‘est inspiré de l‘attitude du Taoïsme exprimée par Chuang-Tzu, le célèbre continuateur de Lao-Tzu : «l’homme parfait utilise son mental comme un miroir. Il ne s’approprie rien; il ne refuse rien. Il reçoit tout mais il ne garde rien. ».
La pensée est une fonction naturelle mais nous avons abusé de son rôle.
Elle consiste à tout voir mais à ne rien prendre.
Ainsi que l’expriment les maitres Taoïstes et Zennistes « l’œil regarde mais il ne se voit pas lui-même» et de même, la pensée aurait-elle pour mission de penser simplement mais non de se penser elle-même. S’étant regardée elle-même et accumulant ce qui se présente à elle, la pensée s’est prise pour un être indépendant. L’instrument s’est arrogé illégitimement les droits du propriétaire. Cette identification de la pensée avec elle-même est une usurpation. Telle est l’origine du « moi ». Ce dernier est le résultat d’une sorte de « courant secondaire ou parasite » (second thoughts disent les auteurs anglais), et sa position de déséquilibre fondamental est sans issue.
Le rôle ultime de la logique est de se démontrer à elle-même, par le processus de la raison, son caractère limitatif et les conditionnements impliqués dans toute analyse.
La mission suprême de la pensée consiste à se démontrer à elle-même les limitations de ses processus, les impasses dans lesquelles l’entraine l’identification et le bien fondé de son dépassement par une réalité qui l’englobe et la domine.
Les progrès récents de la cybernétique démontrent de façon péremptoire les caractères essentiellement mécaniques de nos opérations mentales et la nécessité d’une pause dans l’activité intellectuelle mécanique pour permettre à la Liberté du Réel de s’exprimer spontanément en nous et par nous.
Ainsi que l’exprimait le penseur indien Shri Aurobindo : «La raison fut une aide; la raison est l’entrave. » La pensée fut une aide; la pensée est l’entrave. »
Mais… comme nous l’écrivait récemment un maître Zen : « il faut parfois beaucoup parler avant d’être silencieux ». De même est-il malheureusement souvent nécessaire de beaucoup penser avant de comprendre la nécessité du silence mental et les richesses qu’il peut révéler.
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La différence entre l’homme ayant réalisé le Zen (ou Satori) et l’homme ordinaire est la suivante : le premier peut avoir des pensées mais il est libre d’elles. Chaque mouvement du mental n’est plus chez lui une occasion que saisit son «moi» pour se reconstruire et se continuer par lui. Sa pensée apparaît adéquatement aux circonstances. Elle est libre de l’identification et de l’attachement. Elle se recrée et s’épuise à chaque instant en se laissant «diriger» dans la parfaite momentanéité du présent.
L’homme ordinaire est, au contraire, entièrement prisonnier de son activité mentale. Loin de posséder ses pensées, il est possédé par elles.
Il est inconscient des mobiles profonds qui font apparaître les images, les symboles, les mots, les émotions formant sa vie intellectuelle et sentimentale. Il ne peut répondre à la quadruple question fondamentale à laquelle le Zen et la pensée krishnamurtienne peuvent donner une réponse claire et précise : Comment pensons-nous ? Que pensons-nous ? Pourquoi pensons-nous ? Qui pense ? Le Zen considère que dans cet état de négligence l’homme ignore tout des énergies profondes qui sont à l’origine de ses actes. Chacune de ses pensées est une occasion que saisit son «Moi » pour se continuer par elle. L’homme est en fait beaucoup plus « pensé » par ses propres tendances inconscientes qu’il ne pense intégralement lui-même, librement (6).
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La notion de « l’Inconscient Zen »
« L’Inconscient Zen » n’a rien de commun avec l’inconscient des psychologues. Le terme « inconscient » a été employé intentionnellement afin d’attirer l’attention des lecteurs occidentaux sur le fait que l’état d’Eveil du Zen diffère totalement des conditions de la conscience ordinaire.
Ainsi que l’exprime D.T. Suzuki «L’inconscient Zen est une conscience infinie inconsciente d’elle-même ».
Il est évident qu’une conscience infinie est complète en elle-même et se trouve affranchie de toute nécessité d’objectivation. Elle se suffit à elle-même et ne recherche ni à s’affirmer, ni à s’éprouver, ni à « devenir quelque chose », contrairement à la conscience voilée du «moi».
Notre conscience personnelle, objectivée, consciente d’elle-même possède un caractère de fragilité, de limitation, de lourdeur et de léthargie par rapport à « l’Eveil de l’Inconscient Zen », mais nous voyons ici, à quel point dans ce domaine chaque mot est un piège.
Pour l’Occidental, la conscience est toujours la conscience de quelque chose par quelqu’un. La conscience est comparative, déductive et inductive.
La lucidité pure du Zen ne résulte au contraire d’aucune comparaison.
La plénitude de l’Eveil n’est réalisée qu’à partir de l’instant où cessent les automatismes mentaux conditionnés par toutes les valeurs antérieures : comparaisons, conclusions, mémoires, définitions, mots quels qu’ils soient. La nécessité de cette mise à nu de la conscience, déroutante pour les Occidentaux est abondamment expliquée dans le Lankavatara Sûtra.
La lucidité du Zen est une lucidité sans idée. L’idée n’en est aucunement la condition.
Nous serons conformes à l’esprit le plus pur du Lankavatra Sûtra en formulant le principe suivant : le degré de lucidité pure ou d’Eveil de l’esprit à un instant donné est directement proportionnel à son absence de symboles, de formules, de toute emprise du passé, telles que mémoires, comparaisons, mots.
Lorsque l’état d’Eveil s’est installé de façon définitive, l’homme peut penser, il peut utiliser ses mémoires mais il est libre d’elles.
Le problème ne consiste pas à lutter artificiellement contre le processus des engrammes cérébraux et des mémoires qu’ils déterminent. Il s’agit d’un processus naturel. Mais un seul fait importe : tout en laissant œuvrer le processus naturel des enregistrements mémoriels il est indispensable d’être libre de l’emprise qu’ils exercent.
Cette liberté et l’intensité de conscience impersonnelle qui en résulte sont les signes distinctifs de la Bouddhéité.
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Qui est Bouddha ?
Peu d’auteurs occidentaux ont insisté sur la signification véritable du mot «Bouddha». Ce terme ne désigne pas une personne mais un état.
Bouddha signifie « Eveillé », à savoir délivré du rêve de l’ignorance et de l’identification. Cet « Eveil » est à la portée de tous les êtres humains.
Dans l’état de Bouddha ou de «Bouddhéité » l’homme a découvert «l’Unité profonde des dix mille choses ». Il a démasqué le rôle illusoire de ses créations mentales. Il sait qu’elles sont l’expression de «Tanha », la soif de continuité, l’avidité de «devenir ».
L’état de Bouddha est celui d’un homme dont l’esprit s’est totalement affranchi de l’attachement, de l’identification avec les valeurs suggérées à l’esprit par les contacts du monde sensoriel : valeurs de temps, d’espace, de devenir, oppositions dualistes du bien, du mal.
Il discerne la juste place qu’occupe ces différentes notions dans une unité plus vaste qui les englobe et les domine. .
Le prince Gautama Siddhârta, de la Dynastie des Cakyas a réalisé cet état d’Eveil intérieur, au même titre que tous les Patriarches, qu’ils s‘appellent Nagarjuna, Bodhidharma, Hui-Neng. D’autres, connus ou inconnus, célèbres ou anonymes, passés ou à venir, ont réalisé ou réaliseront la Bouddhéité.
Les maîtres Zen définissent comme suit les signes distinctifs des Bouddhas authentiques : affranchissement des conditionnements psychologiques imposés par le milieu, l’hérédité, l’éducation, les habitudes mentales du passé, les textes sacrés, les mémoires tant individuelles que collectives.
Mais ainsi que l’exprime Alan W. Watts «Un Bouddha conscient d’être un Bouddha n’est pas un Bouddha ».
Loin d’être un anéantissement, l’état de Bouddhéité (c’est-à-dire de Nirvâna ou de Satori) est celui d’une plénitude. Tout être humain délivré des limitations de l’égoïsme réalise les plus hauts sommets de l’intelligence et de l’amour.
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Apparente négativité du Bouddhisme et du Zen
L’apparente négativité du Bouddhisme en général et du Zen en particulier résulte du fait que l’approche de la Réalité fondamentale de l’Univers et de l’homme ne peut être que négative. On ne peut dire d’Elle que ce qui n’est pas Elle. Les maîtres du Bouddhisme dénonceront donc les obstacles masquant à nos yeux le trésor caché résidant aux ultimes profondeurs de la conscience. Mais du trésor caché lui-même, rien ne peut être dit.
Le Bouddhisme véritable, tel qu’il fut enseigné par le Bouddha, Bodhidharma et Hui-Neng doit être considéré comme un énoncé magistral des conditionnements de l’esprit humain. Un énoncé de conditionnements a toujours une apparence négative.
La plupart des Occidentaux perdent de vue qu’au terme des négations successives dénonçant nos valeurs illusoires, nos limitations, nos attachements, la Réalité Elle-même s’affirme avec éclat. Elle est l’élément suprêmement positif.
Mais les véritables Eveillés savent fort bien que rien ne peut en être dit, car tous les mots, toutes les images, toutes les descriptions viendraient ternir la transparence intérieure indispensable à la contemplation de l’indicible.
Un maître Zen nous a donné à ce sujet un avertissement : « Un dixième de pouce de différence» dit-il «et la terre et le ciel sont séparés».
Ce dixième de pouce de différence désigne le rôle négatif de nos créations mentales. Une seule pensée fausse suffit à nous plonger dans l’enfer du monde des dualités et nous séparer de la vision de la «soi-nature».
L’impression de négativité éprouvée par certains résulte également d’une incompréhension de la doctrine bouddhiste du «Vide» (Sunyata) que nous examinerons ultérieurement. Disons immédiatement qu’il s’agit simplement du «Vide» de nos valeurs illusoires familières et non d’un néant.
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Il est important de noter que le Zen ne nous convie pas à lutter en vue d’une acquisition de nouveaux biens. Tout est là ! nous déclare-t-il.
Rien ne nous manque, Il suffit de mettre de l’ordre dans notre désordre. Il n’est nullement question de conquérir des vertus puisque le «moi» leur servant de support est déclaré inexistant. Il n’y a rien « à faire » au sens accumulatif et possessif que l’Occidental donne en général au terme «faire». II y a plutôt «à défaire» : défaire les nœuds innombrables formés par notre ignorance, notre avidité, nos peurs. Ici aussi, nous perdons de vue que cette «passivité» du moi, apparemment négative, possède un aspect complémentaire éminemment positif : la découverte du Réel.
Dans cette Réalité créatrice réside l’essence même de toute action.
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La notion de Dieu dans le Bouddhisme Zen
On a beaucoup parlé du nihilisme et de l’athéisme de la doctrine du Bouddha. Le Bouddhisme se situe en dehors des valeurs que nous accordons aux termes de théisme et d’athéisme. Nous avons vu qu’il n’est pas nihiliste.
Il n’y a aucune place dans le Bouddhisme pour un Dieu personnel teinté ou non d’anthropomorphisme. Conclure hâtivement à l’athéisme du Bouddha pour cette seule raison serait une erreur. La notion de base du Bouddhisme est celle d’un « Eveil ». Eveil de qui ? demandent certains. Cet « Eveil » n’est en tous cas pas celui d’une personne ou d’une entité. Il n’y a pas Eveil de qui que ce soit ou de quoi que ce soit. Toute dualité d’un sujet et d’un objet se trouve absente. Ceci implique que la Réalité suprême (ou Dharmakaya-Corps de Vérité-Corps de Bouddha) est elle-même plénitude de conscience en donnant au terme conscience un sens très différent de celui qui nous est familier. A ce point de vue, divers maîtres Zen que nous avons approchés adoptent une façon de voir qui est assez voisine de la notion indienne de « Sat-Chit-Ananda ». La Réalité Suprême est à la fois « Sat» (L’Etre englobant l’esprit et la matière), «Chit », conscience pure impersonnelle et «Ananda» (félicité).
Nous sommes cette Réalité mais nous ne le savons point. Ainsi que l’exprime D.T. Suzuki « Nous sommes déjà des Bouddhas… Parler d’atteindre quoique ce soit est une profanation, et, logiquement, une tautologie» (7).
Nous sommes donc victime d’un vice de fonctionnement mental nous empêchant la découverte de notre nature véritable.
Dès l’instant où l’Etat d’Eveil nous délivre des mirages engendrés par l’identification nous vivons l’intégration. L’étude de l’intégration projette quelques lumières sur le problème de Dieu dans le Bouddhisme.
Qu’est-ce que l’intégration ? Nous pourrons la définir par comparaison avec des notions plus familières : la notion de communion par exemple.
Une différence essentielle existe entre l’intégration bouddhiste et la communion chrétienne. Le Zen est un monisme intégral. L’illumination abolit toutes les dualités du sujet et de l’objet, du spectateur et du spectacle, de l’expérimentateur et de l’expérience (8). Seule, demeure la plénitude éternelle créatrice du Présent impersonnel. Ainsi que l’exprime Alan W. Watts (9) « Dans l’Eternel Présent, il n’y a plus ’ nous ‘ et le présent, il y a le ‘ présent ‘ tout simplement ».
Dans la communion, au contraire, la dualité de l’objet et du sujet, de l’expérimentateur et de l’expérience subsiste. L’adorateur reste éternellement distinct de l’objet de son culte. Il y a coexistence éternelle du créateur et de la créature.
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Les maîtres Zen désignent la Réalité suprême du Bouddhisme comme « Acte Pur ». Pour D.T. Suzuki elle est à la fois «Le Corps et l’Usage» (10). Cet « Acte Pur» est autant esprit que matière. Il est totalement étranger aux notions d’absolu familières aux théologies occidentales. Nous reproduisons ici le fameux dialogue reproduit dans les « Annales de la transmission de la Lampe» (11).
King : « Qu’est-ce que la Bouddhéité ?
Paloti « Voir la Nature réelle des choses est la bouddhéité. »
King : «Voyez-VOUS cette nature véritable?»
Paloti: « Je la vois ».
King : « Quelle est cette nature véritable ?»
Paloti: « La nature véritable est « Acte Pur.»
King : «De qui ou de quoi est cet Acte? Je ne comprends pas. »
Paloti: «L‘acte est ici. Vous ne le voyez pas simplement.»
King : «L’ai-je eu moi ? »
Paloti : «Vous êtes l’acteur maintenant. .,
Ainsi que l’exprime D.T. Suzuki, voir sa véritable nature est agir, et toute acte pur équivaut à voir dans le Réel. Cette vision n’est pas « vision de quelque chose ». Elle est vision tout simplement, sans dissociation aucune de l’Acte Pur.
Le sens du divin dans le bouddhisme peut également s’éclairer par l’étude de la notion fondamentale du « Vide ».
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La notion du « Vide » dans le Zen
Les erreurs d’interprétation de la notion du « Vide » dans le Bouddhisme en général et dans le Zen en particulier sont à l’origine de nombreux malentendus.
« N’imagine pas le Vide comme étant le néant » nous dit un des principaux ouvrages du Bouddhisme Thibétain (Tchag Tchen Gyi Zindi).
Un autre texte important du Bouddhisme emprunté au Lankavatâra Sûtra nous éclaire plus encore quant à la signification véritable du Vide :
« Ce qui est entendu par „ Vide” dans le plus haut sens de Réalité finale, c’est que dans la Sagesse issue de la Vue Juste, il n’y a plus aucune trace de la force d’habitude mentale engendrée par des conceptions erronées » (12).
L’exposé complet de la doctrine des « forces d’habitude » demanderait des volumes. Nous en avons envisagé certains aspects ailleurs (13).
Les textes ci-dessus suffisent amplement pour réduire à néant les affirmations relatives au prétendu nihilisme du Bouddhisme.
Un exemple emprunté à la physique moderne pourrait clarifier le problème.
Nous savons que l’ensemble multiforme de l’Univers matériel provient d’une seule et même énergie. Dans la mesure où nous allons vers le cœur des choses, en physique, nous remarquons l’inadéquacité progressive de nos valeurs familières. Louis de Broglie définit le corpuscule atomique comme « une zone d’influence, un paquet d’ondes, une singularisation d’ondes de probabilité ». On ne peut plus parler de la forme, ni de la permanence, ni de l’individualité d’un neutron ou d’un électron. Formes et surfaces impliquent des complexités de structure. Or les corpuscules atomiques sont simples. Quant à l’énergie dont ils sont l’expression, nul ne peut exactement la définir. Le physicien Max Planck disait d’elle « qu’elle se matérialise en grains résultant du mouvement de sa propre puissance et qu’elle acquiert, par l’ingénieux artifice des dispositions électroniques, des propriétés et des formes particulières ». Mais de l’énergie elle-même rien ne peut être dit. Carlo Suarès nous a démontré le caractère strictement impensable de l’univers, de la matière (14). Tirant les conclusions qui s‘imposent à la suite des travaux d’Einstein et d’Eddington il arrive à la constatation d’un « quelque chose » d’indéfinissable, auquel aucune de nos catégories de valeur ne s’applique.
La Réalité du « quelque chose » n’est ni rouge, ni verte, ni ronde, ni carrée, ni chaude, ni froide. Nous dirons qu’elle est «Vide» à savoir absente de toutes les qualités qui nous sont familières. C’est pour une raison de cet ordre que les textes bouddhiques contiennent de nombreuses négations dès l’instant où ils évoquent la Réalité finale.
Le « Vide» bouddhique n’implique donc pas un néant mais une absence de qualités particulières semblables à celles que nous suggèrent nos contacts familiers avec le monde matériel.
Signalons ici, qu’un éminent physicien français, Georges Cahen vient d’exprimer tout récemment un langage semblable (15).
«Le dépouillement des phénomènes vis-à-vis du contenu immédiat de nos perceptions présente deux caractères que nous mettrons en évidence : d’une part, ce processus révèle une identité d’essence entre l’intellect et l’univers. D‘autre part, ce contenu se vide progressivement de sa substance apparente : la matière elle-même tend à n’être qu’une forme vide, un champ d’action des propriétés structurelles de notre esprit, c’est-à-dire quelque chose d‘immatériel.
» Nous exprimerons ici et de la façon la plus extrême la tendance ultime de la science : réduction de la réalité au vide. Ce vide n’est pas le non-être, le néant. C‘est au contraire l’‘être le plus complet qui soit puisqu’il contient l’Univers en puissance.»
Le maître Zen, Hui Haï nous disait que «lorsque cessent les perceptions particulières nous réalisons la perception totale ne se situant dans aucun lieu privilégié quel qu’il soit » (16). Celle-ci n’est pas un vide mais une plénitude.
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Qu’est-ce que le Nirvâna ou Satori ?
Le terme « Nirvâna » signifie littéralement extinction. Mais encore faut-il voir de quoi ! Nirvâna est l’état de félicité résultant de l’extinction de l’ignorance, de la peur et des désirs. L’homme délivré de l’ignorance n’a jamais été anéanti ! Il s’ouvre à la plénitude de la joie.
Ainsi que l’exprimait le Bouddha «En parfaite joie nous vivons, nous à qui rien n’appartient. En parfaite joie nous vivons, sans inimitié dans le monde de l’inimitié. La joie est notre nourriture de chaque jour, comme aux dieux rayonnants. ».
L’action d’extinction du souffle sur une flamme, sous-entendue dans le terme « Nirvâna » est en relation avec le Sermon de Bénarès au cours duquel le Bouddha comparait le processus du «Moi » à une flamme.
Les aliments de la flamme du «moi» sont les cinq « skandas » : le corps, les sentiments, les perceptions, les impulsions et les actes de conscience.
Nous avons exposé au paragraphe du « rôle de la pensée dans le Zen», la façon dont le «moi » se continue par l’activité mentale.
L’extinction de la flamme du «moi» n’est pas une défaite. C’est la plus haute victoire de la nature profonde de l’homme.
«Nirvâna» est l’état de lucidité suprême triomphant des limites imposées par la naissance et la mort, par l’apparent isolement de l’existence extérieure.
Portant l’Univers entier dans son cœur, l’Eveillé réalise la forme la plus pure de l’amour. Parce qu’il est mort à lui-même, en tant qu’entité il permet à l’intelligence de la Vie de s’exprimer en lui et par lui.
Il est le monde. Il est le criminel, le saint. Il se sait solidaire de la société mais il est libre d’elle. Parce qu’il est affranchi de l’identification il peut jouer librement le jeu du monde sans être prisonnier des circonstances qui lui servent d’expression. Son efficience en est centuplée. Le Zen et le Tao ont un principe commun : celui de la spontanéité. La spontanéité et le don de soi sont les signes distinctifs des plus hautes formes de l’amour se traduisant par un respect universel de la vie sous toutes ses formes.
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Le terme « Satori » signifie « voir en sa propre nature », ou « Eveil soudain ». Les maîtres Zen en résument généralement comme suit les principaux caractères : (17)
a) il est supra-intellectuel et irrationnel.
b) la vision du Satori est intuitive et non dualiste. Elle est cependant plus précise et plus impérieuse que les états mentaux familiers.
c) autorité catégorique: D.T. Suzuki précise à ce sujet : «le Satori est une espèce de perception qui a lieu dans la partie la plus intime de la conscience. D’où son caractère d’autorité indiscutable, de fait ultime, définitif. »
Il y a lieu ici d’insister sur le fait que le Satori n’est réalisé que par un affranchissement de toutes les confections mentales, de tout symbole, formule, de toute idée ou mémoire. L’expérience exclut donc tout danger d’autohypnose ou de suggestion.
d) sens positif : D.T. Suzuki déclare que « l’illumination est affirmative au sens le plus vrai du mot ».
e) le sens de retourner chez soi : « Vous vous êtes trouvé maintenant; depuis le tout premier commencement rien ne vous avait été dissimulé; c’était vous-même qui fermiez les yeux à la Réalité» (18).
f) impersonnalité : L’expérience du Satori est dépouillée de tout caractère personnel. Elle se réalise dans l’impersonnalité d’une observation intense et silencieuse dans laquelle n’interviennent ni nos préférences ni nos répulsions. En un mot : réalisation d’une parfaite objectivité par la fusion de l’objet et du sujet dans une essence commune qui les englobe et les domine.
g) exaltation : l’exaltation n’est pas en contradiction avec l’impersonnalité du Satori. Elle est directement liée à l’état de « félicité existentielle du Réel ».
h) instantanéité et présence éternelle : D.T. Suzuki déclare que « le Satori se présente de façon abrupte; c‘est une expérience instantanée. »
D’instant en instant le «moi» doit se soustraire à la magie toute puissante de ses automatismes mentaux. Ceux-ci n’ont d’utilité que pour résoudre des problèmes d’ordre concret, scientifique ou technique. Mais ils sont une entrave pour l’expérience de l’Eveil suprême ou Satori.
L’homme doit être neuf et disponible à chaque instant nouveau.
Dans cette réceptivité et cette souplesse intérieure il peut percevoir le caractère unique de chaque instant. Il peut en vivre l’éternité présente au delà des voiles du temps. Cette approche lui permet de participer à la plénitude de création contenue dans l’unicité extraordinaire de chaque moment.
i) affrontement des circonstances : fuir n’est pas résoudre. Le Satori ne s‘obtient pas dans la fuite du monde mais dans son affrontement. La vie est relation, tant biologiquement que psychologiquement. «Toute perception est une occasion de Satori » déclarent les maîtres Zen.
C’est au cours de nos relations avec les êtres, les choses et nos propres réactions mentales et émotionnelles que se parachève la pleine connaissance de nous-mêmes, cette condition indispensable à la réalisation du Satori. Les objets de la perception sont moins importants que notre attitude intérieure d’approche. C’est le caractère instantané, Non-Mental et parfaitement adéquat de notre approche qui détermine l’authenticité de l’Eveil.
Ainsi que l’exprime le maitre Zen Yoka Daishi « Si vous vivez le Zen, vous pouvez laisser l’enfer parmi vos rêves passés mais vous pouvez réaliser un paradis où que vous soyez… » (19)
«Les étudiants Zen ne s’évadent pas…» nous dit le vénérable Senzaki, « l’Amérique en a eu, elle en a, et elle en comptera peut-être encore beaucoup… Ils affrontent aisément les ‘mondanités’… Ils jouent avec les enfants, respectent les mendiants et les rois… mais ils traitent l‘or et l‘argent comme de simples pierres.» (20)
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Zen et vie pratique
«Les mystiques sont des hommes parfaitement pratiques» (21) nous dit D.T. Suzuki : « Si le mysticisme est vrai, sa vérité doit être pratique et doit pouvoir se vérifier dans chacun de nos actes. ».
« Le Zen est notre état ordinaire d’esprit… il n’y a dans le Zen, rien de surnaturel, d’inusité ou de hautement spéculatif qui dépasserait notre vie quotidienne. »
L’adéquacité parfaite du Zen en fait la faculté qui permet à l’homme de répondre pleinement à toutes les données des circonstances qui se présentent à lui. L’imagination et la distraction sont les principaux obstacles à cette adéquacité. Cette dernière requiert, en toutes circonstances, l’exercice d‘une observation silencieuse et concentrée.
Cette observation possède néanmoins un caractère distinctif : elle est «Non-Mentale», c’est-à-dire affranchie de l‘identification aux mémoires.
L’attitude «Non-Mentale» est la condition indispensable à la rapidité des réflexes. Elle se traduit par une détente intérieure nous permettant d’être disponible à la Réalité, présent au Présent, absent à notre égoïsme.
La révélation de la plénitude de ce que nous sommes, tant en surface qu‘en profondeur, ne se réalise qu‘au cours des relations de la vie quotidienne. Le livre de la vie est plein d’enseignements mais nous ne parvenons pas à déchiffrer les caractères dans lesquels il est écrit. Ces caractères sont essentiellement vivants : ce sont les réactions mentales et émotionnelles apparaissant en nous au cours de nos relations avec les êtres, et les choses. Aux yeux d’une observation silencieuse, non déformée par des jugements de valeurs favorables ou défavorables, les agrégats d’éléments psychiques formant le «moi» se révèlent pleinement et se dissolvent comme les brumes se dissipent au soleil. C’est le «lâcher prise» du Zen.
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L’attitude « Non-Mentale » et le « Lâcher prise » constituent les deux conséquences pratiques de l’enseignement Zen.
Toute la science du Judo est basée sur le Non-Mental. Les mouvements du Judoka ne doivent pas être pensés. Si le pratiquant du Judo pense, il est immédiatement «envoyé sur le tapis ».
Le Zen enseigne que le corps humain possède une sagesse instinctive dont les possibilités sont immenses. Nos races hyperintellectualisées ont perdu la trace de cette sagesse naturelle. Cette sagesse émane directement de la « nature profonde des choses». Elle serait en liaison intime et permanente avec notre vie végétative, physiologique.
Le docteur Hubert Benoit a insisté à juste titre sur la nécessité d’une dévalorisation de notre excès d’intellectualité. Il est nécessaire de « revaloriser » la vie végétative (22). Nous sommes des cérébraux impénitents. L’abus de la fonction intellectuelle nous prive de l’harmonie naturelle que la Réalité profonde des choses nous destine. Nous devons retrouver à l’échelle humaine, une octave supérieure de l’instinct animal, intégrée à une forme élevée de conscience supramentale.
Parmi les avantages pratiques du Zen nous citerons les suivants :
a) activité constructive : loin de renoncer à l’action, l’homme du Zen est le plus pratique qui soit. Il sait quels sont les mobiles profonds qui font apparaître ses pensées, ses émotions et ses actes. Un tel homme s’intègre au principe cosmique de tout travail dans la nature, tant physique que psychique ou spirituelle.
b) l’adéquacité parfaite : «Le Satori n‘est pas une annihilation» disait Bodhidharma, «c’est une connaissance de l’espèce la plus adéquate (23). Le Zen nous permet ‘d’être au monde’ (24) tout en étant libre de lui. L’activité mentale nous empêche d’être adéquats. Si nous sommes au volant de notre voiture, l’esprit encombré de soucis, nous n’aurons pas la rapidité des réflexes nécessaire à l’évitement de l’obstacle imprévu se présentant sur la route. Le Zen nous demande d’être pleinement à ce que nous faisons ».
c) la détente intérieure dans l’activité.
d) amour, détachement, non-violence :
Par son dépassement de l’égoïsme et la vision perpétuellement présente de l’Unité, l’homme du Zen réalise les conditions de l’amour véritable, de la compassion et de la charité.
Il est détaché, car le Satori lui révèle qu’il est au cœur des êtres et des choses ce qu’ils ont de plus précieux, de plus irremplaçable.
Le détachement entraîne la simplification des besoins. Mais il n’a rien de commun avec l’indifférence.
Par son dépassement de l’illusion du « moi », l’homme du Zen se libère des avidités égoïstes qui sont à l’origine de toutes les violences et de tous les conflits.
II est donc simple, aimant, paisible, en un mot, éminemment social.
e) minutie, précision : « L’Infini est dans le fini de chaque instant » nous dit D.T. Suzuki. « Soyez des exemples de précision » nous demande le philosophe Sakurazawa.
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Bouddhisme Zen et Christianisme
La plupart des maîtres Zen ont l’intime conviction de l’identité du contenu expérimental d’un Bouddha, d’un Jésus ou d’un Hui-Neng.
Néanmoins, des divergences notables existent entre les éléments qui nous restent des doctrines codifiées par les successeurs des grands Sages.
Faute de place nous les résumerons comme suit :
a) Le Christianisme est une religion de révélation divine.
b) Le Bouddhisme est une religion naturelle, en insistant toutefois sur le fait que la nature des choses est à la fois matérielle, psychique et spirituelle.
a) Le Christianisme est une religion de création. L’Univers est la matérialisation d’un plan.
b) Dans le Bouddhisme l’Univers n’a ni commencement ni fin. Seul existe un processus de création éternellement présent dont la loi est la spontanéité. Il n’y a aucun plan.
a) Le Christianisme enseigne la réalité et l’éternité de l’âme individuelle.
b) Le Bouddhisme et le Zen enseignent l’inexistence du moi. Celui-ci ne revêt qu’une apparente continuité durant le cycle des vies successives mais il n’échappe pas à la loi universelle de l’impermanence.
a) Le Christianisme enseigne la nécessité des intermédiaires entre Dieu et l’homme.
b) Le moine bouddhiste n’est pas considéré comme un intermédiaire. II n’administre aucun sacrement et n’est pas considéré comme ministre de Dieu.
a) Le Christianisme enseigne la nécessité du «salut» et la rémission des péchés.
b) Dans le Bouddhisme en général et dans le Zen en particulier, personne, y compris le Bouddha lui-même, ne possède le pouvoir de s’interposer entre les causes des actes d’autrui et leurs effets. L’homme doit porter seul la responsabilité de ses pensées et de ses actes. Le Zen enseigne qu’il n’y a pas de maturation spirituelle possible pour l’homme s’il ne peut éprouver par lui-même les conséquences heureuses ou malheureuses de ses actes bons ou mauvais.
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Parmi les similitudes entre le Bouddhisme Zen et le Christianisme nous rappellerons les paroles de Jésus : «Le Royaume des Cieux est au-dedans de vous-mêmes ».
L’état de transparence mentale du Zen se trouverait également évoqué dans divers fragments des Ecritures chrétiennes :
«Heureux les pauvres (ou les mendiants) en esprit, car le Royaume des Cieux leur appartient » (Ev. St Matthieu – ch. V. v.3).
«En vérité je vous le dis, quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas ».
La place nous manquant dans cette étude sommaire, nous terminerons par cette citation de Saint-Jean de la Croix (Montée I, II – ch. XIII) :
« Enlevez ces formes, détachez entièrement ces voiles, faites en somme que l’âme soit établie dans la pure nudité et la pauvreté d’esprit. Aussitôt celle-ci devenue pure et simple se transforme dans la pure et simple Sagesse divine… »
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Zen et Occident
Les lecteurs d’Europe continentale ne manqueront pas d’être surpris en apprenant le rayonnement considérable de la pensée Zen dans les pays d‘expression anglaise. Le dernier ouvrage en anglais de Christmas Humphreys sur le Bouddhisme atteint le tirage actuel de deux cent cinquante mille exemplaires.
Ainsi que l‘exprime l‘écrivain anglais Alan W. Watts, Président de l’Académie Américaine des Etudes Asiatiques : « L’intérêt du Bouddhisme Zen a connu durant les 20 dernières années un essor considérable. Depuis la dernière guerre mondiale la diffusion de la pensée Zen dans le monde occidental s’est développée à tel point qu’elle est devenue un facteur important dans la vie intellectuelle et artistique du monde occidental ».
Le Zen a eu le plus de succès, là où il était le plus attendu : le développement extraordinaire de la technique a donné aux civilisations économiquement puissantes un rythme de vie fébrile, antinaturel empreint d’une agitation et d’une inquiétude de plus en plus grandes.
Le Zen apporte à ceux qui le pratiquent la capacité éminemment précieuse d‘être intérieurement et extérieurement détendus au cœur de l’activité la plus intense. La détente intérieure dans l’activité extérieure, tel est l‘un des secrets du succès du Zen parmi les personnes déployant une grande activité. L’autre raison réside dans le fait que beaucoup de chercheurs isolés doutent du bien fondé des valeurs qui ont présidé à l’édification de la civilisation occidentale et sont à la recherche d’une inspiration totalement différente.
La pensée Zen est moins connue en Europe continentale en raison du nombre limité d’ouvrages traitant de la question. La plupart des auteurs nous présentent un Bouddhisme axé sur les « Quatre Vérités fondamentales » de la souffrance, de la découverte de ses causes et de la façon de s‘en libérer. Nous ne contestons pas le fait historiquement reconnu de l’importance de la souffrance au point de départ de la recherche intérieure du Bouddha. Les maîtres Zen considèrent «l’incident clos » et tournent leur attention sur l‘Eveil qui survient ultérieurement.
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Bouddhisme Zen et problème social
La société est ce que sont les individus qui la composent.
Nous avons mis en évidence les conséquences spirituelles et concrètes du Zen. La notion fondamentale du caractère illusoire du « moi », la vision constante de l’Unité, l’Eveil intérieur et les données pratiques de l’adéquacité parfaite sont autant d’éléments de nature à former des individualités riches, créatrices et harmonieuses, empreintes d’un esprit de coopération, d’altruisme et de compréhension.
Une civilisation basée sur la réalité du « moi» n’aboutit, par contre, qu’aux désastres, aux guerres, aux conflits dont nous sommes de plus en plus les témoins et les victimes.
L’étude de la psychologie du « moi» nous démontre qu’il est à l’origine de toutes les violences. L’égoïsme est l’ennemi de l’homme et du monde.
La réalisation d’une civilisation qui ne soit plus basée sur la réalité du « moi » s’impose de toute urgence. Ceci n’est pas une utopie. Une telle civilisation a été vécue durant le règne du grand empereur bouddhiste Açoka entre le troisième et le deuxième siècle avant notre ère. Cette société était non-violente et pacifique car les individus qui la composaient étaient imprégnés de notions telles que l’illusion du «moi », la vanité des biens matériels, l’impermanence de toutes choses.
Les événements de plus en plus troublés du XXe siècle appellent une nouvelle culture qui soit réellement à la mesure le l’homme « pleinement Eveillé ».
Cette dignité nouvelle de l’humain n’atteindra la plénitude le son expression que dans une société libérée de l’égoïsme et de l’illusion de la conscience de soi. Tels sont les fondements lu Zen.
(1) Voir “Le Bouddhisme” par A. David-Neel.
(2) The Way of Zen, by Alan W. Watts, p. 15 (flames & Hudson. ed. London).
(3) The sayings of Lao Tseu, trad. Giles.
(4) La version présentée ici est empruntée à l’ouvrage d’Alan W. Watts
(5) Voir à ce sujet le « Mental Cosmique » par Hsi-Yun, éd. Adyar – Paris
(6) Bergson disait à ce propos que (nous sommes beaucoup plus souvent agis que nous n’agissons intégralement nous-mêmes).
(7) D.T. Suzuki le Non-Mental, p. 103.
( 8) Voir ici également Krishnamurti. Première et dernière liberté. Ed. Stock – Paris.
(9) Alan W. Watts The Wisdom of’ Insecurity »,
(10) D.T. Suzuki : Non Mental.
(11) Doctrine Suprême, H. Benoît.
(12) Le Bouddhisme, par A. David-Neel.
(13) Essais sur le Bouddhisme en général et sur le Zen en particulier, par R. Linssen.
(14) Critique de la Raison impure, par C. Suarès. éd. Stock.
(15) Georges Cahen : Les Conquêtes de la Pensée scientifique.
(16) The Path to sadden Attainment, by Hui-Hai.
(17) Voir à ce sujet « Essais sur le Zen », par D.T. Suzuki.
(18) Doctrine Suprême, pair H. Benoit. p. 88.
(19) Buddhism and Zen, by Nyogen Senzaki, p. 38, Philosophical Library – New-York,
(20) idem, p. 37
(21) Essais sur le Zen, par D.T. Suzuki, vol. il p. 119, éd. Trois Lotus.
(22) Doctrine Suprême, pair H. Benoit.
(23) Essais sur le Zen, D.T. Suzuki, vol. III, p. 30.
(24) Expression de Rimbaud.
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La Voie Abrupte de Chen-Houei (668-760) et Tetsugen (1630-1682) par Robert Linssen
Revue Être Libre, Numéros 181-183, Janvier-Mars 1961)
http://www.revue3emillenaire.com/blog/la-voie-abrupte-de-chen-houei-668-760-et-tetsugen-1630-1682-par-robert-linssen/
Il est impossible de résumer ou de commenter complètement l’œuvre fondamentale du maître Chen-Houei, disciple de Hui Neng, ainsi que celle de Tetsugen. L’étude de ces œuvres nous montre immédiatement les similitudes extraordinaires avec la pensée de Krishnamurti.
Ceci est surtout évident pour Hui-Neng et Chen-Houei.
La doctrine bouddhique du Dhyâna, qui porta le nom de « Chan » en Chine et finalement du Zen au Japon, enseigne que l’on peut parvenir à la délivrance non seulement en une seule vie mais dans l’espace d’une seule pensée (ekacitta).
La vérité, disait Carlo Suarès, est une chose que l’on voit complètement d’un seul coup, ou bien que l’on ne voit pas du tout. Il n’y a pas de demi-mesure entre le dualisme et le non-dualisme. Pour Chen-Houei, l’illumination véritable et définitive ne peut être que subite. Il la désigne en chinois par le terme « touen wou », ce qui signifie une conversion totale et instantanée, un bouleversement complet de la conscience, une réalisation abrupte, non préfigurée, soudaine et totale.
S’attacher aux pratiques, faire effort pour atteindre la bodhi (sagesse), le nirvana, la vacuité, c’est rester dans le domaine des notions et du fabriqué.
Krishnamurti insiste également sur le fait que toutes les méthodes, les pratiques, les recettes innombrables fournies par les systèmes religieux, les sectes, aboutissent tous à des résultats. Mais tous ces résultats sont précisément conditionnés par les caractères spécifiques des méthodes employées. La réalité, nous dit souvent Krishnamurti, n’est pas un résultat, elle n’est pas fabriquée. Nous trouvons à la fois chez Krishnamurti et chez
Chen-Houei le même respect d’une chose essentielle : le caractère de spontanéité du Réel.
Ceci nous prouve d’ailleurs l’influence considérable du Taoïsme sur le Zen, l’élément fondamental du Taoïsme étant la spontanéité.
Chen-Houei déclare textuellement que « ceux qui partent du principe absolu parviennent rapidement au Chemin. Ceux qui cultivent les pratiques externes y parviennent lentement. » (Entretiens du maître Dyana Chen Houei, p. VI, par J. Gernet.)
« Du moment que l’on voit (réellement), dit Chen-Houei, les pratiques deviennent inutiles. Trancher les passions n’est pas le Nirvâna, dit-il : c’est la non-production des passions qui est le Nirvâna. »
Nous retrouvons toujours ici le thème central enseigné par tous les éveillés et repris par Krishnamurti. Le Sage demande, en effet, « qui supprime les passions, quels mobiles poursuit le « moi » dans la suppression ou la discipline de ceci ou de cela ? Ces processus ne font en général qu’emprisonner le « moi » dans un jeu de tensions s’exerçant entre le sujet (le « moi ») et les objets (ses passions).
C’est pour une raison identique, qu’en 1956 Krishnamurti terminait ses entretiens privés de Bruxelles sous la forme d’une question à la fois paradoxale et fondamentale : « les transformations auxquelles nous procédons dans notre vie intérieure ou extérieure ne sont-elles pas inutiles aussi longtemps qu’elles procèdent d’un mobile personnel ? La seule transformation authentique ne serait-elle pas celle qui ne procède d’aucun mobile ? »
Ne procédant d’aucun mobile, et n’étant que l’expression spontanée du « sans cause », étant le « sans cause et sans effet », une telle transformation n’est plus susceptible d’être cataloguée dans le « fabriqué », le manufacturé.
Elle est libre des corruptions de la pensée.
Ainsi que l’exprime Chen-Houei, « on ne parvient à voir sa nature propre que grâce à une absence complète de toute activité soi-consciente de l’esprit, en rejetant d’un seul coup le causal (pratyaya) et le fabriqué (samskrta) ». Mais, nous dit Jacques Gernet « l’absence de pensée n’est rien d’autre que la substance de notre esprit propre » (1).
Nous trouvons ici une des clés les plus fondamentales expliquant à la fois toutes les contradictions apparemment innombrables du Zen et de la pensée de Krishnamurti. Il faut comprendre que la vacuité, c’est-à-dire l’absence de pensées dualistes dans le mental, révèle la plénitude qui est éminemment substantielle. La vacuité doit être comprise comme l’absence de nos pensées habituelles dualistes; elle révèle ce que Tetsugen appelle le « Corps d’essence ». Et lors de la réalisation expérimentale de cet état, le Sage qui en parle, par le fait même qu’il en parle, énonce des termes qui sont empruntés à l’ancien domaine des confections mentales, et un tel Sage se trouve pris aux pièges innombrables que commandent les commodités du langage.
On insiste également sur le caractère de spontanéité du Réel. « La règle unique du Tao, dit Granet (Pensée chinoise, p. 524), est le Wu Wei, la non-intervention. On pense certes qu’il agit, mais en ce sens qu’il rayonne inlassablement une vacuité continue. »
Krishnamurti définit le même état d’être dans l’état d’amour véritable, lorsqu’il nous dit que c’est un pur état d’être, ni personnel, ni impersonnel, rayonnant continuellement vers tout ce qui nous entoure, quel que soit le caractère favorable ou défavorable de l’accueil qui est fait à ce rayonnement.
Jamais il n’est question de quitter le monde, mais d’agir dans le monde sans s’identifier aux anciennes fausses valeurs qu’y accordait le mental.
L’impensable, dit Chen-Houei (Jacques Gernet, p. 10), réside dans le fait d’accomplir l’Eveil à partir de la production de l’esprit initial (transformation sans mobile du moi, dirait Krishnamurti). Il s’agit d’une union (yoga) née d’une pensée instantanée. Jacques Gernet précise que « pensée instantanée » est prise ici dans le sens d’intemporelle. Cette pensée d’un caractère transcendant se produit dès le moment où l’esprit est vide de toute pensée (wu nien), c’est-à-dire de toute notion (de toute valeur mémorielle, dirait Krishnamurti) et de toute opposition. L’absence de pensée, dit Chen-Houei, « c’est la pensée instantanée et la pensée instantanée c’est l’omniscience. C’est grâce à une connaissance sans distinction que le Tathâgata est capable de distinguer toutes choses ». Nous avons toujours insisté, tant dans nos articles précédents que dans nos livres, que nous ne pouvons pleinement jouer le jeu de la vie qu’en étant totalement libres de l’identification avec les formes qui lui servent d’expression.
Il ne s’agit pas pour Chen-Houei d’exercices à répéter quelques heures par jour, mais au contraire d’un état naturel permanent au sens où Krishnamurti nous dit que l’Eveil doit être réalisé tous les instants, en excluant finalement tout moment privilégié. Ainsi que l’écrit J. Gernet (p. 11) :
« Si l’école d’Houei Neng condamne la pratique de la récitation orale, c’est que pour elle esprit et paroles doivent aller de pair, car, dès que l’on voit en soi la nature du Bouddha, on reste dans un état d’oraison perpétuelle ».
Chen-Houei insistait également sur les dangers qui résident dans le fait de vouloir définir, de vouloir « demeurer » dans des notions, dans des valeurs préfabriquées. Ainsi que l’écrit J. Gernet (p. 12) : « Tout l’effort des maîtres de Dhyâna ne tend qu’à détacher les auditeurs de l’esprit d’erreur qui consiste à croire qu’il est possible et nécessaire d’avoir recours à des notions et de définir ce qui est en fait indicible. Il n’y a pas, en effet, de commune mesure entre l’absolu et notre stade de raisonnement logique fondé sur de vaines oppositions de concepts. C’est donc par un saut brusque que l’on doit « voir » en soi la nature de Bouddha…, en rejetant tout le causal (pratyaya), le fabriqué (samskrta), le relatif. On atteint alors cet état d’esprit d’un caractère transcendant qu’est le wu-nien. Mais, ainsi que nous l’avons développé maintes fois ailleurs, cet état ne met pas l’Eveillé dans l’incapacité de penser. Il est libre de l’identification avec ses pensées. Ainsi que l’exprime Chen-Houei (p. 13), « la pensée dans l’absence de pensée c’est la manifestation, l’activité (prayojana) de l’absolu. Lorsqu’on voit l’absence de pensée, on est maître de toute chose, lorsqu’on voit l’absence de pensée on embrasse toute chose. »
Mais cette absence de pensée, cette intégration totale à l’Univers se réalise par la révélation du dharmakaya, ou corps de pure essence qui, pour notre mental ordinaire, ne peut être défini autrement que par pure vacuité. Nous voyons à quel point ici les mots et les commodités du langage nous entraînent dans des affirmations apparemment contradictoires, car, bien entendu, le « Vide » des bouddhistes n’est pas un néant absolu, mais une plénitude.
Yuan Tchrog-Che de la préfecture de Tchang demanda un jour à Chen-Houei : « Qu’est-ce que la vacuité et qu’est-ce que la non-vacuité ? »
Chen-Houei répondit : « Le caractère insaisissable de la substance de l’absolu s’appelle vacuité. » (Remarquons bien ici que Chen-Houei parle du caractère substantiel du corps d’essence au même titre que Tetzugen.)
Mais, continue Chen-Houei, lorsqu’on est capable de voir cette substance insaisissable et que l’on est alors plongé dans une quiétude constante, on possède des activités (prayojana) nombreuses comme les grains de sables du Gange. C’est pourquoi on parle de non-vacuité.
Cette réponse donne à elle seule la clé de toutes les énigmes et de toutes les contradictions apparentes. D’une part, intérieurement, en profondeur nous réalisons la vacuité foncière qui est notre corps d’essence (dharmakaya), mais en surface nous agissons dans le monde sans nous identifier à lui (ce qui donne un aspect de non-vacuité). Il est évident que ces deux aspects sont apparemment opposés mais complémentaires.
Ce que nous exposons ici semble être confirmé par l’enseignement de Tetsugen. Ce dernier fait d’une part appel au Prajnaparamita hridaya Sûtra (Sûtra du Cœur), évoquant continuellement le Vide fondamental.
« Si on voit que les cinq agrégats sont tous vides, on peut se délivrer de toutes les souffrances » et « La matière c’est le vide, et le vide c’est la matière ».
D’autre part, Tetsugen a écrit un poème très profond où il déclare (Sermons, p. 24) :
« Tous les phénomènes de l’Univers, transformés (2), sont des yeux.
» La terre et le ciel manifestent la Lumière foncière (3).
» Si l’on s’éloigne instantanément (4) et à jamais de la dualité du voyant et du vu
» Le monde des dharma sans limite est le Diamant (5). »
Les similitudes de l’enseignement de la « Voie Abrupte », de Chen Houei, avec certains aspects de la pensée de Krishnamurti, nous montrent une fois de plus que les comparaisons entre le Zen véritable et la pensée du grand penseur indien sont très utiles et offrent une complémentarité extraordinaire qui, à notre humble avis, nous aide à mieux comprendre chacun des aspects de leurs œuvres, pour nous permettre un jour de mieux en mieux les appliquer.
(1) « II n’y a d’autre Dieu que l’homme purifié », dit Krishnamurti.
(2) Par la vision réelle.
(3) Du Dharmakaya.
(4) Allusion à la réalisation abrupte.
(5) Le Diamant est à la fois le Vide et la Plénitude d’un éclair éternel.
Commentaires sur Chen Houei (660-760) et Krishnamurti
(Revue Être Libre, Numéros 184-186, Avril-Juin 1961)
La question suivante était posée à Chen Houei : « Tous les êtres doivent, dit-on, cultiver le chemin. Je ne sais si en le cultivant, on peut en une vie accomplir le chemin du Bouddha ? »
« On le peut », répondit Chen Houei.
Comment cela, demanda l’interrogateur.
Selon la doctrine du Mahayana, dit Chen Houei, les obstacles du karman, nombreux comme les grains de sable du Gange, en une pensée instantanée, sont réduits à néant et la substance de la nature propre qui est non produite (anutpanna), en un ksana, (en un instant) accomplit le Chemin…
Nous voyons ici, une fois de plus, mise en évidence la notion Zen de l’instantanéité de la libération spirituelle. Krishnamurti enseigne également qu’il suffit de poursuivre une pensée jusqu’au bout et l’on arrive au vide interstitiel qui sépare deux pensées et, dans ce vide d’un instant, la réalisation se manifeste d’elle-même.
Il est important de noter ici que Chen Houei insiste sur le fait que c’est « la substance de la nature propre qui est non produite qui accomplit le Chemin » et non le « moi ». Le « moi » ne peut dissoudre le « moi », nous enseigne Krishnamurti. « You cannot choose Reality, Reality must choose you », dit-il. Le Chemin, ou la Réalité, ne sont pas des effets de causes antérieures. Ils ne sont pas produits. Ils n’ont pas à être manipulés par nos pensées et toutes nos spéculations à ce sujet nous enferment dans le champ des mots de notre propre esprit.
Le terme « chemin » est lui-même un piège. Il n’y a d’autre Réalité que l’Inconnu total qui se recrée d’instant en instant.
La difficulté pour nous réside dans le fait que nous marchons toujours du connu au connu.
Même, lorsque nous disons qu’il y a une Réalité, ce terme évoque une pensée dualiste déformée par des jugements de valeurs, des contenus mémoriels du passé.
Ce quelque chose d’impensable est Sa propre loi. Il est autogène. Il n’est pas un résultat, nous le répéterons encore souvent.
Pour cette raison, Chen Houei et Krishnamurti insistent sur l’inutilité des exercices spirituels.
On posait la question suivante à Chen Houei : « Comment, par des exercices qui durent l’instant d’un ksana, pourrait-on devenir Bouddha ?… »
Chen Houei répondit : « Si l’on parle d’exercices, cela veut dire dharma fabriqués, cela relève de l’impermanent (anitya) et l’impermanent ne se sépare pas de la production et destruction. »
Krishnamurti nous fait comprendre que si nous méditons, si nous prions, si nous employons des moyens particuliers, des techniques, nous aurons des résultats, mais tous ces résultats se situent dans le champ de notre esprit et portent les empreintes indélébiles de nos conditionnements.
« Les exercices, même pratiqués avec foi, dit Chen Houei, ne se séparent pas de la connaissance et de l’Eveil (d’une certaine connaissance et d’un certain éveil). De telles causes et de tels fruits, dit-il, ne sont rien d’autre que production et destruction. Ils n’existent pas foncièrement. Pourquoi donc avoir recours aux exercices, demanda Chen Houei. »
Laissons l’empire du Réel être Sa propre loi en nous, nous dit le Tao.
Mais une grande confusion peut naître dans l’esprit des chercheurs, en ce qui concerne l’application de ce qui vient d’être dit.
La loi du Tao est la spontanéité, et Krishnamurti insiste sur l’inutilité de l’effort et sur le danger des disciplines et des techniques.
Ceci est valable en ce qui concerne le domaine spirituel proprement dit, mais l’erreur que commettent de nombreux chercheurs consiste à transposer ces vérités supérieures dans le domaine du comportement physique et matériel.
Chaque domaine de l’univers est régi par des lois spécifiques. Si le domaine du Tao, ou de la Réalité suprême, est régi par la loi de spontanéité, par le non-effort, par le non-mécanique, par le non-produit, par la non-causalité, la matière par contre est régie par la causalité, par les lois mécaniques. Si les disciplines et les efforts sont vains en ce qui concerne la réalité spirituelle, elles sont utiles et nécessaires en ce qui concerne la réalité physique du corps matériel. Beaucoup d’erreurs tragiques ont été commises par ceux qui ont voulu transposer la spontanéité suprême du Tao dans le domaine du comportement matériel quotidien, en confondant la spontanéité suprême avec l’impulsivité, le laisser aller, la réponse trop facile aux sollicitations des sens.
C’est dans cette forme mal comprise de la spontanéité que sont tombés certains adeptes américains des formes inférieures du Zen. Leur comportement nuit évidemment beaucoup à la réputation du Zen et n’a rien de commun avec la spontanéité, telle que la comprennent les maîtres Zen ou un Krishnamurti. Il est d’ailleurs très difficile de délimiter en soi-même et pour soi-même les zones du conditionné et de l’inconditionné, du mécanique et du spontané.
Cette réserve étant faite, nous rappellerons aux lecteurs que du point de vue spirituel, il n’y a pas de chemin. Il y aurait un chemin s’il y avait un but à atteindre en dehors de nous. Mais nous sommes la réalité. Nous l’ignorons tout simplement.
On demandait à Chen Houei quel était le sens du « chemin du milieu » ?
Chen Houei répondit par ces mots : « les extrêmes » ; car si l’on parle du chemin du milieu, il faut s’appuyer sur la notion d’extrêmes pour en rendre compte… »
Chen Houei déclare ensuite (p. 79 : « Entretiens du Maître de Dyana Chen Houei ») que « la substance du chemin est absence d’objets particuliers; elle n’est comparable à rien, elle est dépourvue de connaissance, etc.; en elle, ni terre spirituelle, ni terre mentale ne peuvent être établies; elle est sans allée ni venue, sans intérieur ni extérieur, sans localisation; elle ne peut être éprouvée… »
Nous rencontrons ici la position de Krishnamurti, qui nous enseigne que la réalité ne peut être expérimentée, qu’il ne s’agit pas d’une expérience réalisée à la façon dont on procède généralement dans nos processus d’expérimentations habituels. Pour Krishnamurti, il n’y a révélation du Réel que lorsque cesse la dualité de l’expérimentateur et de l’expérience; il s’agit d’un processus créateur vivant, dont la loi est la spontanéité. Chaque instant de ce Réel, étant absolument neuf, est un Inconnu total, non préfigurable, non comparable.
Mais en nous un désir de sécurité perpétuel nous fait comparer, nous pousse à projeter le passé sur le présent.
Notre marche s’effectue ainsi du « connu au connu », nous dit Krishnamurti et, par un curieux paradoxe, notre désir de sécurité nous prive de la paix véritable.
Nous pensons alors à cette phrase, que Krishnamurti écrivit un jour : « c’est dans la vitalité de l’insécurité que se trouve le parfum de l’Eternel »
Se connaître pour se dépasser par Robert Linssen
(Revue Être Libre, numéros 190-192, 1961)
http://www.revue3emillenaire.com/blog/se-connatre-pour-se-dpasser-par-robert-linssen/
Les doctrines secrètes du bouddhisme tibétain sont dominées par une préoccupation fondamentale : voir, voir davantage (lags-thong en tibétain). Cette vue pénétrante est la base essentielle du bouddhisme en général et du Zen en particulier. Disons à ce propos que le terme Zen que nous employons est imparfait. Il serait plus exact de parler de bouddhisme Ch'an, dont Bodhidharma, Seng-Tsang, Hui-Neng et Chen Houei, etc., étaient les représentants les plus illustres.
L'art de la « Vue Juste » consiste à discerner la réalité au delà des apparences. Et ceci s'applique autant au domaine physique qu'au domaine mental.
Nous avons souvent évoqué l'aspect illusoire du monde matériel qui s'offre à nos yeux sous des apparences de solidité, de continuité. Tout le monde sait actuellement que la matière n'est pas continue.
Elle est composée d'atomes entre lesquels existent des espaces considérables. La variété des constituants intranucléaires : neutrons, hypérons, fermions, pions, neutrinos, d'une part, les électrons planétaires et les champs, d'autre part, doivent être considérés comme les manifestations différemment polarisées d'une seule et même énergie.
La discontinuité n'est pas seulement une propriété de la matière. Elle s'applique également à la conscience. La conscience n'est pas continue. L'impression de continuité résulte d'un manque d'attention de notre part. C'est la superposition extraordinairement rapide et complexe des pensées qui donne à notre vie intérieure l'impression de solidité et de continuité. Il n'y a pas de « penseur-entité », nous dit Krishnamurti.
Seule existe une succession rapide de pensées. Le déroulement des pensées n'est pas continu. Il existe entre les pensées des vides interstitiels. Dans ces moments de silence, l'activité mentale est inexistante et la possibilité de l'expérience spirituelle nous est donnée.
Nous avons déjà énoncé ce qui précède de nombreuses fois. Rien n'est plus essentiel. Toute recherche dans une autre direction est futile.
Voir juste, c'est démasquer la comédie que le « moi » se joue à lui-même et aux autres. Par la vue pénétrante nous devons nous libérer de l'attachement et de l'identification. On ne s'entraîne pas artificiellement au détachement par la conquête consciente de vertus enseignées dans les religions organisées. Le détachement véritable résulte de la vue pénétrante.
Celle-ci nous révèle le caractère illusoire du « moi ».
Comment percevoir le caractère illusoire du « moi » sans avoir une connaissance de la Réalité ? Car il est évident que nous ne pouvons connaître la Réalité. La Réalité est l'Inconnu total, le jaillissement créateur de chaque instant présent.
On ne nous demande rien d'impossible. Il suffit d'être pleinement attentif, ici même, où se déroule notre vie quotidienne. Si nous ne pouvons connaître la Réalité nous pouvons en tous cas mieux nous connaître. Nous pouvons découvrir par nous-mêmes le fait que notre vie intérieure se résume en une succession de pensées continuellement naissantes et inachevées. A chaque instant des pensées se présentent dans le champ de notre esprit. A peine sont-elles nettement perceptibles que d'autres se présentent. Nous ne leur permettons jamais de terminer leur course.
Pourquoi ? Comment se fait-il que si peu d'êtres sont capables d'observer attentivement leurs pensées ? Comment se fait-il également que si peu de personnes arrivent à découvrir la discontinuité foncière de leur propre conscience ?
Il existe une force obscure mais toute puissante qui nous empêche de nous voir tels que nous sommes. Nous sommes indiscutablement agis par un instinct de conservation. Sans lui nous ne serions pas de ce monde.
Mais ce qui fut une aide peut à un certain moment donné devenir une entrave. Cet instinct de conservation se manifeste en nous par une avidité, par un désir de durer, par une peur de nous perdre, par la soif de nous éprouver en tant qu'entité distincte. Une partie de nous-mêmes résidant enfouie dans les profondeurs de la conscience personnelle, sait parfaitement bien que, si la possibilité nous était donnée d'être un seul instant face à face au vide interstitiel existant entre deux pensées, la fausseté du « moi » deviendrait à tel point évidente, que la conscience personnelle ne tarderait pas à se dissoudre.
Or, le « Vieil homme », en nous, ne veut pas cette dissolution.
La superposition rapide et complexe de nos opérations mentales n'est pas seulement un hasard. Elle est la manifestation de l'instinct de conservation du « moi », qui par ce stratagème acquiert durée et solidité psychologiques.
Il nous est parfaitement possible, par l'exercice d'une attention profonde, de saisir en nous la force qui fait apparaître l'activité mentale.
Nous voyons et nous sentons à la fois la poussée responsable de l'apparition de nos pensées. Cette poussée se situe dans les couches plus profondes de la conscience. Lorsque nous avons compris et senti que cette force est intimement liée à l'instinct de conservation du moi, il est possible de nous en délivrer. Cette délivrance ne résulte pas d'un rejet ni d'un acte de volonté. La vision du faux comme tel est libératrice. Insistons sur le fait qu'en dépit des apparences, il n'est pas question ici d'une théorie subtile mais d'expérience vivante. La poussée qui fait apparaître les pensées est l'essence même de notre égoïsme, de nos violences, de nos avidités. Si nous sommes attentifs, nous découvrirons que toutes nos pensées, quelles qu'elles soient, stupides, banales ou autres, sont la manifestation de cette poussée.
QUESTION : Vous dites que le faux étant vu comme tel, cette vision est libératrice. Comment pouvez-vous savoir que le faux est faux si vous ne connaissez pas la réalité ? Qu'est-ce que la Réalité ?
REPONSE : De la Réalité rien ne peut être dit. « Celui qui en parle ne la connaît pas. Celui qui la connaît n'en parle pas », nous disent les taoïstes. La Réalité dont vous parlez se situe sur un autre plan et n'a rien de commun avec nos jugements de valeurs relatifs au bien et au mal, au faux et au vrai. La Réalité n'est pas une vérité qui se situe dans les catégories d'opposition de bien et de mal, ou de vrai ou de faux. J'insiste toujours sur le fait que dans l'attention juste il n'y a pas de jugement de valeurs et donne en exemple l'image taoïste du miroir. Le miroir voit tout, mais il ne prend rien, il ne choisit rien, il ne condamne rien, il ne juge rien, il n'accumule rien. Il est entièrement disponible à ce qui se présente à lui dans l'instant. Nous devons être ainsi : entièrement attentifs, disponibles à l'instant, sans choix, sans avidité, sans désir de devenir quelque chose ou quelqu'un.
QUESTION : « Qui » voit et « qui » dissout le « moi » ?
REPONSE : Voilà la question fondamentale qui me permettra de combler les lacunes inévitables contenues dans ce qui précède. Certes, ce n'est certainement pas le « moi » qui peut dissoudre le « moi » : Le « moi », comme le dit Krishnamurti n'est qu'ignorance, conditionnement. C'est la lucidité du Réel qui dissout le moi et non le moi qui se dissout lui-même en vertu d'un acte de discipline. Le « moi » n'est qu'un instrument; je dirai mieux : en un certain sens, la conscience de soi est l'obstacle. Lorsque cesse cet obstacle, la Réalité se manifeste d'elle-même.
J'ai beaucoup insisté sur le fait que dans l'attention juste nous devions être comme le miroir, c'est-à-dire ne rien prendre, ne rien juger, ne rien condamner, ne rien approuver. J'ai également mis en évidence la nécessité de mourir à nous-mêmes, de nous affranchir de nos automatismes passés, des mécanismes habituels de la mémoire. Si vous y réfléchissez profondément, vous verrez qu'une attention libérée de toute mémoire, de toute comparaison, de toute référence au passé, de tout choix, de toute condamnation, de toute approbation, n'est plus spécifiquement « votre » attention. Elle est plus exactement celle de la Réalité en vous.
Il est faux de s'imaginer qu'il soit nécessaire de connaître la Réalité afin qu'elle puisse opérer en vous. Vous êtes la Réalité, mais vous ne le savez pas. Ensuite, vous ne pourrez jamais connaître la Réalité, parce qu'elle est inconnaissable. Elle est l'Inconnu. Elle est entièrement neuve à chaque instant. Si la Réalité était connaissable, la connaissance que nous aurions d'elle ferait partie des constructions mentales dont il est urgent que nous nous débarrassions.
Par la voie de la connaissance ordinaire, nous pouvons découvrir que l'univers extérieur n'est qu'une apparence. Nous pouvons de même découvrir que le « moi » n'est également qu'une apparence. Nombreux sont ceux qui tombent dans le piège du dualisme en faisant cette constatation.
Ils se disent : puisque le monde extérieur est un monde d'apparence, la Réalité se trouve à l'intérieur ou au delà de celui-ci. Beaucoup de personnes tendent à diviser le monde en deux aspects opposés : le Réel et l'Irréel. Ceci peut paraître exact. Malheureusement cette façon de voir est fausse. La Réalité est tout autant l'apparence du monde manifesté que le monde manifesté. Certains diront qu'elle est le Vide. Quoique nous approchions ici d'une vision plus claire des choses, le mot Vide reste toujours un mot et, comme tel, il est inadéquat. Car nous savons fort bien que ce vide de qualités et de propriétés familières est en réalité une Plénitude d'amour et de conscience pure.
Le Bouddha déclarait : « Un ignorant dit «tout est ». Un autre ignorant dit « rien n'est ». Mais pour celui qui connaît, suivant la Sagesse, il n'y a ni Etre ni Non-Etre. »
Pour terminer, nous dirons qu'il existe un « quelque chose » de fondamental, comme le dirait Carlo Suarès, un « quelque chose » qui ne peut être connu, mais qui peut être vécu. Car contrairement à ce que nous pensons, connaître la Réalité ce n'est point la vivre, mais la renier. Vivre la Réalité c'est mourir à toute connaissance. Cet état n'est pas infra-intellectuel, comme le déclarent les ennemis du Zen, tels Robert Kemp et Arthur Koestler. Il s'agit de la plus haute forme de l'intelligence : lucidité mentale sans idée, sans symbole et Plénitude d'Amour.
(Résumé d'une causerie donnée à Paris le 17 novembre 1961.)
Le zen et l'art de conduire par Robert Linssen
Publié sous le nom d'Iwan Khowsky (pseudonyme de Robert Linssen)
(Revue Être Libre, Numéro 237, Octobre-Décembre 1968)
http://www.revue3emillenaire.com/blog/le-zen-et-lart-de-conduire-par-robert-linssen/
Vers 1950, le professeur D.T. Suzuki, donnait à New York une série d'exposés traitant de l'art de conduire.
Une étude attentive du Zen nous montre immédiatement les rapports existant entre l'art de conduire et l'exercice d'une attention parfaitement adéquate.
Chaque année les accidents de la route font des ravages aussi graves qu'une guerre meurtrière. Les causes principales de ces accidents sont de quatre ordres : distractions, refus de priorité, excès de vitesse et dépassements dangereux — les accidents résultant de défaillances purement mécaniques étant plutôt rares.
Nous proposons d'examiner ces facteurs à la lumière de l'attitude Zen.
LES DISTRACTIONS.
Nous savons que les maîtres Zen nous demandent d'être pleinement attentifs à ce que nous faisons. Cette attention doit être l'objet d'une vigilance de tous les instants.
Un automobiliste Zen doit être entièrement disponible aux moindres événements qui se présentent sur la route. La moindre distraction peut avoir des effets dramatiques, surtout à grande vitesse.
Les psychologues ont étudié statistiquement les rapports existant entre les fauteurs ou victimes d'accidents et leurs états psychologiques conscients ou inconscients. Les conclusions sont nettement significatives. Si nous nous mettons au volant de notre voiture, l'esprit encombré de soucis, préoccupations d'affaires, déceptions sentimentales, chocs psychologiques dus à des circonstances pénibles ou trop agréables, il y a de grandes possibilités qu'un accident nous guette. En effet, notre mental sera encombré d'idées. Dans la mesure de l'ampleur de nos contrariétés, de nos émotions désagréables ou de nos plaisirs, une certaine fixité s'établira dans notre esprit. Nous nous coupons ainsi progressivement des réalités concrètes du monde extérieur. Affronter la route dans de telles conditions équivaut à commettre une imprudence aussi grave que celle d'absorber une quantité exagérée d'alcool.
Si nous avons l'esprit préoccupé d'idées ou d'images fixes nous nous mettons dans une double incapacité : premièrement, celle de voir à temps l'obstacle imprévu qui se présente soudainement à nous ; deuxièmement, l'esprit paralysé ne nous permettra pas d'effectuer à l'instant même la manœuvre d'évitement qui nous épargnerait l'accident. Rappelons que les conducteurs angoissés, peureux, crispés à leur volant, provoquent autant d'accidents que les imprudents et les fous de la route.
Le conducteur Zen applique la devise des maîtres qui déclarent « quand j'ai faim, je mange ». Quand il conduit, il conduit. Il est à la route. Ses pensées sont là, complètement d'instant en instant. Rien ne lui échappe.
L'attention juste enseignée par le bouddhisme et le Zen donnent en plus de la vision intérieure un pouvoir de vision physique globale. Ce pouvoir donne paradoxalement la possibilité d'observer les moindres détails de la route, sans s'y attacher, tout en conservant une vision d'ensemble parfaite.
Cette attention ne peut être réalisée que dans la détente. Nous ne reviendrons pas sur les éléments de cette détente intérieure, notre ouvrage s'y est constamment consacré. Sans cette détente, intérieure et extérieure, aucune rapidité de réflexe n'est possible. Or, à grande vitesse, la rapidité des réflexes est d'une importance primordiale.
L'absence d'attention Zen engendre de dangereuses négligences : nous ne regardons pas avec assez de précision les automobilistes arrivant en sens inverse, nous n'observons pas assez ceux qui nous suivent et vont peut-être nous doubler, nous ne sommes pas attentifs aux jeunes écoliers qui jouent en bordure de route et dont l'un pourrait se précipiter sous nos roues.
LES REFUS DE PRIORITÉ
Les enquêtes ont établi qu'au refus de priorité se trouvent toujours mêlées des considérations absurdes d'orgueil ou de prestige personnel. Il est surprenant d'observer l'invraisemblable métamorphose qui s'opère entre le parfait gentilhomme dans son comportement quotidien et le même personnage au volant de sa voiture. Dans le premier cas, nous observons un homme poli, courtois, paisible, souriant et parfois cultivé. Dans le second nous avons devant nous un personnage méconnaissable : violent, agressif, nerveux. La voiture est pour lui l'unique occasion de libérer son agressivité et de s'affranchir de toute contrainte. Nous y retrouvons pendant quelques instants le sauvage déchaîné.
De telles attitudes sont très familières. Mais elles sont totalement étrangères au Zen. L'attention juste des maîtres Zen est un état d'être dépouillé d'avidité et de réactions personnelles. L'attitude adoptée par le pratiquant du Zen dépend, de manière impersonnelle, du lieu et des circonstances. Elle n'est dictée par aucun impératif enfantin d'orgueil, de prestige, d'identification à la possession d'une voiture de telle marque, réputée supérieure à une autre. Dans l'optique de nombreux conducteurs d'aujourd'hui, l'autre conducteur, l'autre voiture sont gênants ; ce sont des intrus, des concurrents, des adversaires, des idiots qui ne savent pas conduire. Dans l'optique du Zen, les autres conducteurs sont des voisins, des compagnons de route qu'il faut respecter comme nous souhaitons nous-mêmes la bienveillance et le respect d'autrui. Dans cette perspective, nous laissons à l' « autre » le droit de profiter des priorités que le code de la route a convenu de lui accorder. Nous le faisons de bonne grâce, spontanément. Rien n'est plus simple et plus naturel.
Cette attitude résulte également d'une disposition intérieure faite de compassion, de fraternité et d'amour. Dans l'optique du Zen, il n'y a plus « moi » d'abord et l' « autre » ensuite. «Lui» et « moi » sommes une réalité. La vision de cette unité est notre état d'être constant, en auto ou non.
LES EXCÈS DE VITESSE
Les excès de vitesse résultent autant de l'inattention que de l'orgueil.
Ils résultent de l'inattention, si nous n'avons pas été méticuleux quant à l'emploi de notre temps, si nous avons négligé d'estimer la durée d'un trajet, ce qui nous oblige à gagner à tout prix le temps perdu, à dépasser coûte que coûte les obstacles nombreux des routes encombrées. L'inattention en aggravera encore les dangers si nous négligeons d'observer les voitures roulant en sens inverse, ou calculons mal le déportement de la voiture dans un virage.
L'excès de vitesse résulte de l'orgueil lorsque les conducteurs deviennent les « fous du volant », s'identifiant à la marque de leur Toiture et se croyant déshonorés s'ils sont doublés.
L'inattention et l'orgueil sont, aux yeux des maîtres Zen, des attitudes infantiles et intolérables. Ces attitudes infantiles se présentent des milliers de fois quotidiennement et se terminent par des drames cruels et spectaculaires.
Il est possible que de tels réflexes tentent de s'établir en certaines circonstances de la vie de tout être humain mais le Zen nous demande d'être suprêmement vigilants en de tels instants et de démasquer sur-le-champ des sollicitations mentales aussi déplorables.
DÉPASSEMENTS DANGEREUX
L'attitude « non-mental » du Zen donne un « flair » particulier, tant au judo, qu'au tir à l'arc, qu'au ski à grande vitesse et que dans tout autre sport ou acte concret. A l'automobiliste, il permet d'évaluer correctement la vitesse de celui qui vient en sens inverse, d'être attentif au comportement de ceux qui le suivent, à l'attitude de celui qui va être doublé, et même de pressentir s'il y a ou non danger imminent. Si, par contre, nous nous sommes stupidement identifiés à notre voiture, à nos réactions d'orgueil, notre comportement au volant risque de réunir toutes les conditions conduisant à l'accident fatal.
I. KHOWSKY.
Livres au format PDF
http://www.revue3emillenaire.com/livres-au-format-pdf.html
Robert Linssen - Aides et Obstacles à l'Éveil intérieur (494 Ko)
http://www.revue3emillenaire.com/doc/livres/Robert-Linssen-AidesetObstacles.pdfRobert Linssen - De l'Amour Humain à l'Amour Divin (235 Ko)
http://www.revue3emillenaire.com/doc/livres/Robert-Linssen-Amour-Humain-Amour-Divin-1953.pdfRobert Linssen - L'Arbre de vie Cosmique et ses fleurs (181 Ko)
http://www.revue3emillenaire.com/doc/livres/Robert-Linssen-Arbre-de-vie-Cosmique-1987.pdfRobert Linssen - Krishnamurti psychologue de l'ère nouvelle (1,4 Mo)
http://www.revue3emillenaire.com/doc/livres/Robert-Linssen-Krishnamurti-psychologue-de-l-ere-nouvelle-1971.pdfRobert Linssen : Psychisme, Parapsychologie et Spiritualité (840 Ko)
http://www.revue3emillenaire.com/doc/livres/Robert-Linssen-Psychisme-et-Parapsychologie-1976.pdfRobert Linssen : Naissance, Développement et dissolution du mirage de l'ego (840 Ko)
http://www.revue3emillenaire.com/doc/livres/robert-Linssen-naissance-developpement.pdf
http://www.revue3emillenaire.com/blog/category/auteurs-k-l/r-linssen/