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»La
Nouvelle Revue Française«
a. VII. n. 84, 1° septembre 1920, pp. 329-345.
[82 haï-kaïs
par 12 poètes, préface de J. Paulhan]
Haï-kaïs
Les haï-kaïs sont des poèmes japonaise de trois vers, le premier vers a cinq pieds, le second sept, le troisième cinq. Il est difficile d'écrire plus court; l'on dira: moins oratoire. La poésie japonaise de treize siècles tient, a peu près, dans ces miettes.
Basil Hall Chamberlain les appelles épigrammes lyriques. »Lucarne ouverte un instant«, dit-il, ou »soupire interrompu avant qu'on l'entendre«. De toute manière, se sont des poésies sans explication.
Paul-Louis Couchoud a su les traduire.
Dans: Sages et poètes d'Asie (Calmann-Lévy, édit.)
* * *
Le haï-kaï est pittoresque, ou bien mystique.
Voici le canard sauvage:
Il a l'air tout fier
D'avoir vu le fond de l'eau
Le petit canard.
Le bon poète embarassé:
De ma baignoire
Où jeter l'eau bouillante?
Partout des cris d'insectes
Voici cependant l'écoulement des apparences:
Elles s'épanouissent, alors
Ont les regarde. - alors les fleurs
flétrissent, - alors...* * *
Dix faiseurs de haï-kaïs, qui se découvrent ici réunis autour de Couchoud, tâchent à mettre au point un instrument d'analyse. Ils ne savent pas quelles aventures, ils supposent la plupart que des aventures attendent le haï-kaï français - (qui pourrait trouver par exemple la sorte de succès qui vint en d'autres temps au madrigal, ou bien au sonnet; et par là former un goût commun: ce goût justement qui passe pour préparer la venue d'oeuvres plus décisives).
Jean Paulhan
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Au fil de l'eau
Le
convoi glisse déjà.
Adieu Notre-Dame!...
Tiens!... la gare de Lyon!
Sur
le bord du bateau
Je me hasarde à quatre pattes.
Que me veut cette libellule?
Les
joncs même tombent de sommeil,
Je rôtis délicieusement
Midi.
Dans
le soir brûlant
Nous cherchons une auberge.
O ces capucines!
Sur
le chemin de halage
En bonnets de fous
Deux bourricots.
Le
vieux canal
Sous l'ombre monotone
S'est vert-de-grisé.
La
vache repue
Ne voit que le pied
Du saule argenté.
Le
fleuve mal endormi
Fait vivre dans la terreur
Le village pelotonné.
Dans
la nuit silencieuse
Le fleuve épuisé et la vieille tour
Se rapellent leur vaillance.
Une
simple fleur de papier
Dans un vase.
Eglise rustique.
Elle
hale le bateau.
Quand l'épaule est meurtrie,
Elle tire avec le
ventre.
1903.
Paul-Louis Couchoud
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Au cirque
Matinée
à Médrano:
Dans une attente joyeuse
L'immense cirque pépie.
Dans
des satins, des lumières,
Et des bouffées de crottin,
Voici venir
l'écuyère:
Avec
ses écailles lie de vin
Et son sourire camin,
Une livrée
verte la présente.
Des
galops égaux
Au-dessous de sauts
Crevant des cerceaux.
*
Sur
les joues des soufflet se plaquent,
Les corps chutent en claquant le bois...
Les tout petits se cachent.
Le
clown a déclanché des rires frénétiques:
Il fit,
en s'asseyant, fuser
Un air léger de musique.
*
L'acrobate
Ne peut plus
Dégager sa vertèbre.
Après
le «tour»
Son visage se crispe:
II sourit.
*
Comme
une balle élastique,
Projeté par le tapis,
Il bondit, bondit,
bondit.
Dans
des splendeurs voltaïques
Tourbillonnent des corps ailés...
Au-dessus
d'un grand filet.
*
Après
ces éblouissements
Nous ramenons, dans la nuit noire,
Le désespoir
de nos enfants.
Mai 1916.
Julien Vocance
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Poussière de poème
Flaque
d'eau sans un pli.
Le coq qui boit et son image
Se prennent par le bec.
Elle
a dit: Oui,
Mais elle a répondu trop vite.
J'ai compris: Non.
Sur
l'épaule du soir
Comme d'un frère vénérable
Ne puis-je
m'accouder.
L'obus
en éclats
Fait jaillir du bouquet d'arbres
Un cercle d'oiseaux.
Trou
d'obus où
cinq cadavres
Unis par les pieds rayonnent,
Lugubre étoile de mer.
Georges Sabiron
Georges Sabiron, soldat au 149e d'Infanterie, a été tué dans les tranchées d'Arcy Sainte-Restitue, quelques mois après avoir écrit ces haï-kaïs, que la Vie (Mars 1918) a publiés.
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Poèmes sur mesure
Au-dessus
il y a le ciel et plus bas le plafond
Et sur la table une boîte
de petits pois
Avec le mode d'emploi.
Les
oiseaux chantent toujours au sommet de la maison
Le Printemps dans les villes
Est sur les toits.
Un
sentiment est une robe à
traîne
Il est bien malaisé d'empêcher
Qu'on ne marche dessus.
Les
courbes sont les promises des yeux
Mariage secret d'un oeil
Avec un fauteuil.
Le
train sur son chemin géométrique
Traverse le mois de Juin
Les coquelicots font la haie.
Pierre Albert-Birot
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Maison en Poitou
La
barrière ouverte
Laisse voir les buis frais taillés,
Tendre pluie
d'hiver.
La
pie, sa queue droite,
Arrive, fait trois petits bonds,
Se pose et attend.
Dans
le vent du soir
Le corbeau retardataire
Croasse et se hâte.
Autour
de ma maison
Dans la nuit le vent d'hiver
Chante sur deux notes.
Veillée
solitaire;
L'heure où
les chenêt
renoncent
A nous consoler.
Nuit
d'hiver, campagne,
Braise rouge dans la cheminée,
Et mes amis loin.
Nuit
sur les fenêtres,
Nuit sur les champs et les routes,
Moi seul et ma lampe.
Contre
le sein nu
L'enfant rit, tourne la tête
Et le lait déborde.
Le
bras de la mêre
Le long du petit enfant,
Un fuseau géant.
Mes
deux mains se ferment
Sur un volume sans égal,
Le corps de l'aimée.
Je
m'éveille la nuit,
La lune baigne la route,
Désir de voyage.
Jean-Richard Bloch
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Vieu
chat ronronnant, tu m'aimes?
Dieu te le rende,
Galeux!
Vieille
barque à
la côte,
Pour moi plus de voile au vent.
Pourtant je sens la mer
qui monte.
Au
fil de l'eau rapprochées , séparées,
Ce bouquet de roses
fanées,
Et cette lettre déchirée.
Au
feu la vieille lettre.
Ah! dans la cendre des mots ont brillé
Comme
pour survivre.
Crotte
de papier par ci,
Crotte de papier par là,
Tiens! mon mari est rentré.
Aux
naseaux de mon cheval
Les
hirondelles croisent:
Ciseaux à
couper le vent.
Jean Breton [pseudonyme littéraire du philosophe C. Bouglé]
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Pour vivre ici
A
moitié petite,
La petite
Montée sur un banc.
Le
vent
Hésitant
Roule une cigarette d'air.
Palissade
peinte
Les arbres verts sont tout roses
Voilà
ma saison.
Le
coeur à
ce qu'elle chante
Elle fait fondre la neige
La nourrice des oiseaux.
Paysage
de paradis
Nul ne sait que je rougis
Au contact d'un homme, la nuit.
La
muette parle
C'est l'imperfection de l'art
Ce langage obscur.
L'automobile
est vraiment lancée
Quatre têtes
de martyrs
Roulent sous les roues.
Roues
des routes,
Roues fil à
fil déliées,
Usées.
Ah!
mille flammes, un feu, la lumière,
Une ombre!
Le soleil me suit.
Femme
sans chanteur,
Vêtements
noirs, maisons grises,
L'amour sort le soir.
Une
plume donne au chapeau
Un air de légèreté
La cheminée
fume.
Paul Éluard
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Le
petit port est endormi.
Soudain dans le silence gris,
Le bout de mâts
s'éclaire!
Des
canards sauvages
Posés sur la mer.
L'ombre d'un nuage.
Maurice Gobin
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Nous
avons seize ans tous les deux,
Mais quand elle en aura dix-huit,
Je n'en
aurai que dix-huit.
Henri Lefebvre
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Le
berger crache des louis d'or,
La vache lâche un arc-en-ciel:
Coucher
de soleil.
Le
banc de bois est humide,
Le banc de pierre est glacé:
Rendez-vous
d'automne.
Albert Poncin
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Nuages
rouges du couchant.
Dans un trou vert
Un mince croissant de lune.
Nuit
d'alerte.
le projecteur à l'horizon
Ouvre et ferme son éventail.
Dans
la nuit noire
Une étoile et son reflet.
Il y a donc de l'eau?
La
nuit en Bretagne.
Un vieux chant passe et s'en va,
Dans un bruit de sabots.
Grincement
de roues.
Un tas de foin grossit
Jusqu'à cacher la lune.
Sur
la plage
Un bout de planche:
Un grand navire a fait naufrage.
Au
clair de la lune,
Dans la brume un pêcheur s'enfonce,
Vers le bruit
de la mer.
Mes
amis sont morts.
Je m'en suis fait d'autres.
Pardon...
Je
veux bien la voir,
Son fiancé aussi,
Mais pas ensemble.
Je
pleurais dans le fauteuil d'osier;
Elle m'a dit: «Consolez-vous»
Et s'est mise à pleurer.
Reste
à la fenêtre,
La face dorée par la lampe,
Et les cheveux
baignés de lune.
René Maublanc
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La
fumée s'envole au Nord
Le papillon blanc vers l'Est
Vent frivole
La
rivière coule nue
Les jeunes arbres vont vivre
Dans les bois
Qui
te parles en souriant?
Non, c'est le ruisseau qui roule
Quelques fleurs
La
fille étonnée recherche
Les instincts bêtes féroces
Du sermon
Le
costaud pourtant est mort
Même sa fièvre allait bien
Dit le faible
La
mère au fond du jardin
Ce n'est pas goût pour la lune
L'enfant crie
Jean Paulhan
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