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Haïkaï Français
Bibliographie et Anthologie par René Maublanc
Le pampre, no. 10/11, 1923, pp. 1-62.
Introduction
J'ai déjà écrit trois articles sur le haïkaï français: le premier a vingt lignes, le second cinq pages, le troisième quarante-deux pages. La progression est trop effrayante pour que je me laisse aller à la tentation d'en écrire un quatrième. Je préfère céder la parole à quelques auteurs compétents.
Voici d'abord ce que Michael Revon écrit du haïkaï japonais en son Anthologie de la Littérature japonaise.
«L'épigramme japonaise (haïkaï) est le dernier terme et le triomphe du système poétique national. Des «longs poémes» déjà si courts, les Japonais avaient passé aux «poésies brèves» en trente et une syllabes; mais non: ils en arrivent maintenant (à partir du XVI. siècle) à préférer un genre encore plus restreint et à ne plus vouloir composer que des poésies de dix-sept syllabes. Au lieu de cinq petits vers, ils n'en auront plus que trois pour exprimer toute leur pensée.»
Qu'ils y aient réussi, l'exemple de Bashô le prouve.
«Matsouo Bashô (1044-1694) est l'homme qui sut faire de l'épigramme une oeuvre de génie... Il fut un mystique épris d'humilité, de pauvreté, de bonté universelle; il eut constamment pour idéal d'amener les hommes à la haute morale qu'il avait atteinte; et comme il était né poète, il fit de la forme d'art la plus exquise, c'est-à-dire de l'épigramme, le moyen pratique d'exercer, mieux que par de lourds écrits, l'influence qu'il avait revée. On comprend des lors pourquoi ce genre mineur, qui, jusqu'à lui, n'avait eu qu'un caractère humoristique, reçut de lui une profondeur que ne connaîtront jamais les oeuvres des partisans de l'art pour l'art... Les meilleurs poètes du temps voulurent devenir ses disciples; dans toutes les classes de la société, on se mit a composer des épigrammes; sa gloire se répandit jusque dans les chaumières... Ses haïkaï laissent entrevoir diverses expressions de cette charmante physionomie, depuis la grave méditation jusqu'a la plaisanterie souriante; mais on remarquera surtout les épigrames ou Bashô nous révèle tantôt son mépris pour la guerre qui divise les hommes, tantôt sa tendresse pour les animaux, tantôt son adoration religieuse de la nature, tantôt cette sympathie d'artiste généreux qui lui faisait aimer toute chose noble et belle, comme elle lui faisait dire, en face d'une vilaine action: «Ce n'est pas de la poésie.»
Les Japonais d'aujourd'hui suivent l'exemple de leurs ancêtres, et ce sont les mêmes qualités poétiques qu'ils offrent à notre admiration et à notre imitation. Ecoutez Paul Fort, présentant au public français la traduction des Tankas de Nico-D. Horigoutchi. (Ce qu'il dit de la tanka, il le dirait à plus forte raison du haïkaï, comprimé de tanka.)
«Le lecteur y trouvera, éparpillées en notations rapides comme une fuite, les impressions les plus diverses, du naturel et de la subtilité, des sourires légers et des coups d'oeil profonds, de la grâce et de la majesté, de fines nuances et de vibrants éclairs, une fraîcheur tout aurorale et un soupçon de perversité, mais raffiné si délicieusement! - et puis encore de la tristesse, des langueurs, des nostalgies, beaucoup de petites choses sveltes et menues, et soudain, quand on s'y attend le moins, l'infini dans une goutte de rosée, le brusque orage des cieux réfléchi par le cristal d'un ongle, des grandeurs d'océan entrevues dans une jumelle minuscule, frêle bijou versicolore, précieux et ciselé.»
Voilà ce qu'est la poésie lyrique japonaise. Pourquoi voulons-nous l'introduire en France? Pour répondre à un certain besoin de la sensibilité contemporaine qui, depuis Verlaine et Mallarmé, se méfié de l'éloquence et cherche à fixer par la poésie la sensation et le sentiment élémentaires.
«L'intèrêt des haïkaïs, explique Paul-Louis Couchoud dans Sages et Poètes d'Asie, est de fournir l'exemple achevé de la poésie discontinue vers quoi tend tout poète japonais, peut-être tout poète asiatique. Stéphane Mallarmé dénonçait l'éloquence qui a envahi chez nous le lyrisme. Il aurait voulu que fussent mises en poésie seules les choses, qui d'aucune façon ne peuvent être expliquées en prose. La poésie était fourvoyée, disait-il avec un sourire, «depuis la grande déviation homèrique». Et si on lui demandait ce qu'il y avait donc avant Homère, il répondait : «L'orphisme». Les hymnes védiques, les courts poèmes chinois, les uta et les haïkaï japonais touchent à l'orphisme mallarméen. Près d'eux tous nos genres poétiques sont oratoires... Le poème prend à sa source la sensation lyrique jaillissante, instantanée, avant que le mouvement de la pensée ou de la passion l'ait orientée et utiliisée. A la prose est laissée la liaison logique des sensations; à l'éloquence l'enchaînement effectif, avec le rythme, la redondance, la cadence. La poésie s'engloutit dans la sensation pure. Elle se défend de lui donner une suite. Sa seule ressource est donc de la choisir. En cette élection splendide commence et finit le génie du poète».
Avec d'autres mots Claude-E. Maître exprime des idées analogues, lorsqu'il appelle l'art japonais un art de suggestion plutôt que d'expression: «Au Japon, où tout le monde est un peu poète et un peu peintre, le peintre et le poète ne cherchent pas à communiquer des émotions parfaitement définies encadrées dans un système clos d'images arrêtées et précises; ils voient dans le spectateur ou le lecteur une sorte de collaborateur, un peintre ou un poète en puissance, dans l'esprit duquel il suffit d'éveiller une émotion ou d'évoquer une image pour qu'elle mette aussitôt en branle, par le jeu des associations familières, tout un cortège d'autres images et d'autres émotions qui compléteront le paysage ou le poème ébauché... Jugée de ce point de vue, la brièveté des tanka et des haïkaï ne nous paraît plus aussi énigmatique; elle tient à la même cause que, dans la peinture, la simplification du dessin et le goût de l'esquisse; elle est appelée en quelque sorte par la conception particulière que les Japonais se sont faite de l'art, où ils ont vu moins un moyen d'expression qu'un moyen de suggestion.»
Faire passer quelque chose de ce lyrisme dans la littérature, exercer les écrivains - et aussi, et peut-être surtout, les amateurs - à sentir poétiquement et à s'exprimer brièvement, c'est le but auquel tendaient les «haïjin» qui publièrent leurs petits poèmes en septembre 1920, à la Nouvelle Revue française. Jean Paulhan les présentait ainsi:
«Dix faiseurs de haï-kaïs, qui se découvrent ici réunis autour de Couchoud, tâchent à mettre au point un instrument d'analyse. Ils ne savent pas quelles aventures, ils supposent la plupart que des aventures attendent le haï-kaï français - (qui pourrait trouver par exemple la sorte de succès qui vint en d'autres temps au madrigal, ou bien au sonnet; et par là former un goût commun: ce goût justement qui passe pour préparer la venue d'oeuvres plus décisives).»
Le présent numéro du Pampre est destiné à dresser le bilan des «aventures» gui sont arrivées au haïkaï français. On trouvera ici d'abord une bibliographie - certainement fort incomplète - de ce qui a été publié en France sur le haïkaï, oeuvres et critique. D'autre part on trouvera aussi un choix de haïkaï français, dont la plupart sont inédits.
Ces haïkaï sont aussi divers que possible et de forme bien irrégulière, de forme si libre qu'elle ne paraît suivre aucune règle. Pourtant nous n'avons pas oublié l'avertissement que Jules Romains nous donnait dans l'Humanité:
«Les parrains du haïkaï français semblent avoir commis, dès le principe, une erreur assez grave, qui est de nature à compromettre leur entreprise, s'ils n'en reviennent pas à temps. Ils paraissent n'avoir pas senti que la vertu du haïkaï, comme de tout poème à forme fixe, est liée à la fixité même de la forme, à la rigueur des règles qui la déterminent. Ceux qui transplantèrent jadis le sonnet en France n'eurent pas l'idée d'en faire un poème à forme libre. Les sonnets dits «libertins» qu'on essaya par la suite ne prennent avec les règles que des libertés fort peu étendues et encore sont-ils considérés, à juste titre, comme des fantaisies d'un aloi douteux. Plus le poème est court, plus cette fermeté de la structure est indispensable. Or les introducteurs du haïkaï conservent bien la règle japonaise des trois vers, mais ils n'assignent à chaque vers aucune longueur déterminée et ne prévoient aucun rapport de sonorités entre les finales des trois vers. Ils obtiendront ainsi une série de notes de carnets, plus ou moins piquantes, mais rien qui ait la vigueur, la vibration, la portée du haïkaï japonais. Cette erreur eut été assez naturelle au temps du verlibrisme; elle est singulière aujourd'hui que les efforts de toute une génération de poètes ont enfin réussi à asseoir une technique nouvelle, plus variée que l'ancienne mais pareillement soumise à des lois. A moins que nos jeunes haïjin ne se soient pas encore aperçus, en lisant leurs aînés, que la prosodie moderne avait cessé d'être «libre», et ne prennent les effets d'une technique savante pour d'aimables hasards de l'inspiration? Ce serait fâcheux, mais possible, tant les études poétiques sont faibles présentement.
«Pour ma part, je ne verrais aucun inconvénient à ce qu'on gasdât en français la règle japonaise des dix-sept syllabes: cinq, sept, cinq. Mais il faudrait convenir d'une ou plusieurs règles quant aux rapports de sonorités. La versification traditionnelle ne fournirait à ce égard que des ressources très médiocres à des effets très monotones. C'est aux moyens de la versification contemporaine qu'il y aurait lieu de recourir.»
D'accord. Mais nous ne pouvons d'une part employer les règles de la poésie japonaise, les deux langues n'ayant vraiment aucun rapport. Dans ces conditions, même la règle des dix-sept syllabes n'aurait qu'une valeur conventionnelle ou, si l'on veut, historique. En second-lieu, la «versification traditionnelle» n'est en effet guère utilisable; on jugera par quelques exemples du présent choix de haïkaï, des ressources et des limites de la rime pour ce genre nouveau. Enfin nous sommes tout prêts à utiliser les règles de la versification moderne; mats pour nous en servir il nous faut les connaître. Et nous venons à peine d'en recevoir un exposé complet et précis. Aussi le traité de versification que viennent de publier Jules Romains et Georges Chennevière est-il le bienvenu parmi nous. Puissent ses règles mettre un peu d'ordre dans l'anarchie qui effraie tant Romains!
Pour le moment, le lecteur devra se contenter de ces «notes de carnets, plus ou moins piquantes.» Il pourra s'amuser à comparer les petits poèmes de chaque auteur, et à chercher par quelles règles personnelles de rythme ou de sonorité chacun s'est efforcé de discipliner son inspiration.
Surtout que le lecteur n'oublie pas, en parcourant ce cahier, que la plupart des oeuvres qui le remplissent ne sont que travaux d'amateurs: pour deux ou trois qui ont fait leurs preuves de poètes et de romanciers, tous les autres ne sont que des hommes cultivés, professeurs, étudiants, lycéens. Ainsi commence a se réaliser, dans un cercle encore restreint, cette éducation poétique qui est au Japon répandue à travers tout le peuple. Au Japon, écrit Louis Aubert, «chacun se sent capable d'écrire sa tanka ou son hokku (haïkaï), comme de faire sa petite esquisse... Depuis le Mikado jusqu'au plus modeste paysan, en passant par le boutiquier de Tôkiô, il n'est pas un Japonais qui n'ait écrit ses trente et une ou ses dix-sept syllabes sur la lune, la neige, les fleurs. Pendant les loisirs que laisse la culture du riz, le paysan dessine; lorsque les pruniers ou les cerisiers sont en fleurs, les gens de toute classe, sous la neige des pétales que détache le vent aigre du printemps, composent des vers qu'ils suspendent aux branches.»
Nous n'en sommes pas là, et le peuple français n'est pas à ce point un peuple artiste. On remarquera pourtant, dans les petits poèmes de ce recueil, qu'à plusieurs reprises nos auteurs se sont rencontrés - sans d'ailleurs se connaître - pour exprimer une même sensation, suggérer une même idée. Ainsi tendent à se constituer chez nous des thèmes de haïkaï: thèmes d'ailleurs bien occidentaux et qui ne se confondent pas avec les thèmes japonais. (Ce n'est ni le cerisier fleuri ni la lune de printemps, mais le noyer sans feuilles, le rève ou le réveil, ou l'amour nouveau s'allumant dans les cendres.)
Si ce mouvement peut se transmettre et s'élargir, si un nombre de plus en plus grand d'amateurs avisés s'amusent à composer les trois vers d'un haïkaï, on peut en attendre, non certes un renouvellement complet de notre poésie, mais d'une part une anthologie de petites oeuvres délicates, d'autre part une élévation et un affinement du goût public. Sur ce point je n'ai rien à ajouter à ce que j'écrivais en juillet 1920: «Nous souhaitons que tout homme cultivé, chez nous, s'exerce à cet effort, comme au Japon, ou le paysan même et l'ouvrier se piquent autant que le lettré de savoir tourner leur haïkaï. Dans les pays et aux époques de grande vitalité littéraire, il existe des genres populaires que chaque amateur est capable de pratiquer lui-même; telle était l'épigramme dans la Grèce antique; tels furent, dans les salons français du xvii. ou du xviii. siècles, le sonnet, le madrigal, le portrait ou la maxime; tel est au Japon le haïkaï; tel il pourrait être demain, en France, si l'on voulait bien nous suivre. Car la littérature d'un peuple n'est pas faite seulement de la production de quelques écrivains de métier; elle est d'autant plus forte et vivante que plus d'hommes y collaborent d'un effort unanime. Ou, pour mieux dire, les hommes de génie, qui le plus souvent sont des professionnels, n'apparaissent que dans un milieu de culture favorable, dans l'atmosphère d'une société polie, où la pratique des petits genres a répandu le talent et le goût... Tel est surtout le service que nous attendons du haïkaï pour les lettres françaises. Il n'est pas un homme, qui, à une heure de sa vie, ne rencontre une émotion, une image, un élan qui l'élève au-dessus de lui-même... Dans un pays ou le haïkaï serait familier à tous, ces mille inspirations anonymes ne seraient plus toutes perdues pour l'art».
Bibliographie
Cette bibliographie ne peut prétendre a être complète. J'y ai mêlé, en les rangeant par ordre chronologique, trois sortes de publications: d'abord les ouvrages écrits ou traduits en français qui firent connaître chez nous le haïkaï japonais; en second lieu les essais de haïkaï français; enfin, les articles critiques qu'inspira cette tentative pour acclimater en France le lyrisme de l'Extrême-Orient. Je serai reconnaissant à tout lecteur qui m'aidera à combler les lacunes de cette bibliographie sommaire.
1. On trouvera la bibliographie de tous les ouvrages parus en français sur le Japon, jusqu'en 1804, dans les deux, ouvrages suivants:
LÉON PAGES. - Bibliographie japonaise. 1 vol. in-4° de 68 pages. - Paris, Benjamin Duprat, 1859. - Ce livre cite 658 ouvrages sur le Japon, parus du xv. Siècle à 1859.
FRAISSINET et MALTE-BRUN. - Le Japon. Histoire et description, moeurs, coutumes et religions, par M. ED. FRAISSINET. Nouvelle édition augmentée de 3 chapitres nouveaux par V.-A. MALTE-BRUN. 2 vol. in-12. - Paris, Arthus Bertrand 1864.
Le tome II (pages 547-555) contient, sous forme d'appendice, la bibliographie des ouvrages sur le Japon parus entre 1859 et 1864.
2. LÉON
DE ROSNY. - Si ka zen yo. - Anthologie japonaise, poésies
anciennes et tnodernes des insulaires du Nippon, traduites en français
et publiées avec le texte original par Léon de Rosny. 1 vol. in-8,
Paris, 1870.
Ce sont, je crois, les premières
traductions de poèmes
japonais parues en français.
Du même
auteur, La civilisation japonaise (Paris, 1883) et Feuilles de Momidzi,
études sur l'histoire, la littérature, les sciences et les arts
des Japonais. (1902).
Quelques années avant l'Anthologie de Léon de Rosny, des
tanka (les Pièces
de Vers des Cent Poètes)
avalent été traduites en anglais dans l'ouvrage suivant:
Hyaku-vin is-shiu, or Stanzas by a century of poets-being Japanese Lyrical
Odes - translated into English, by F. V. DICKINS. London. 1866, in-8.
3. W. G. ASTON.
- Littérature japonaise. Traduction de HENRY-D. DAVRAY. Armand
Collin, 1902, in-16. - XXI-396 pages.
L'ouvrage de W. G. ASTON parut en anglais en 1899. L'édition française
contient, de la page 278 à
la page 285, une étude sommaire du haïkaï,
agrémentée d'anecdotes. Si l'auteur n'accorde qu'une valeur relative
au haïkaï,
il le défend pourtant contre un auteur japonais qui l'appelle une "chose
stupide".
4. CL. E. MAITRE.
- Compte rendu de l'article de BASIL HALL CHAMBERLAIN, Bashô and the
Japanese poetical Epigram. - Dans le Bulletin de l'Ecole Française
d'Extrême-Orient,
t. III. 1903, p. 723-729.
L'article de CHAMBERLAIN, qui est la première
étude de quelque envergure publiée en Europe sur le haïkaï,
avait paru en 1902, en anglais, dans les Compte rendus de la Société
asiatique du Japon. Le compte rendu approfondi qu'en donna CL. B. MAITRE,
alors pensionnaire de l'Ecole Française d'Extrême-Orient
(dont il devint plus tard le directeur) contient les premières
traductions françaises de haïkaï
dignes des modèles
japonais. Ces traductions, simples et évocatrices, sont en même
temps d'une extrême
exactitude - venant du seul Français peut-être
qui sache à
fond la langue japonaise. L'auteur y ajoute une conclusion pénétrante
et neuve sur l'originalité de l'art japonais.
5. [PAUL-LOUIS
COUCHOUD]. - Au fil de l'eau. Juillet 1905.
Une mince plaquette de 15 pages, sans nom d'auteur, tirée à
30 exemplaires hors commerce. Elle contient 72 haïkaï,
tercets irréguliers et sans rimes, composés par P.-L. COUCHOUD
et deux de ses amis, parmi lesquels ALBERT PONCIN, au cours d'une navigation
en chaland qu'ils firent, en 1905, sur les canaux de France.
Ce sont, sans conteste, les premiers haïkaï
français qui aient été écrits.
6. NOËL
PÉRIL. - Au Japon. Fleurs de cerisiers, dans la Revue de
Paris du 1er Septembre 1905, pages 91-116.
C'est la traduction d'un grand nombre de tanka et de haïkaï
(l'auteur les appelle, d'un autre de leurs noms, des hokku) inspirés
aux Japonais par la guerre contre les Russes. La traduction est à
la fois précise et savoureuse, le commentaire éclaire très
utilement les nuances et les doubles sens du texte japonais.
7. LOUIS AUBERT.
- Sur le paysage japonais, dans la Revue de Paris du 15 Septembre
1905, pages 225-250.
L'auteur cite dans cet article neuf haïkaï
(qu'il appelle des hokku) empruntés à
l'article de B.-H. CHAMBERLAIN que j'ai cité plus haut.
Il traduit plusieurs de ces haïkaï
en distiques (non rimes) - ce qui me semble en déformer le rythme. La
traduction est d'ailleurs élégante, et les considérations
de l'auteur sur l'art japonais sont extrêmement
ingénieuses et fines.
A signaler particulièrement
une jolie page (page 239) sur le caractère
populaire et non professionnel du haïkaï
(Cf. page 242, note 3).
Cette étude a été réimprimée dans l'ouvrage
de Louis AUBERT: Paix Japonaise. Paris, A. Colin, 1906, p. 231-273.
8. PAUL-LOUIS
COUCHOUD. - Les Epigrammes lyriques du Japon, dans les Lettres
d'Avril 1906.
Article écrit au retour d'un voyage au Japon, et publié en
1906 par la revue les Lettres, dirigée par FERNAND GREGH. L'auteur
avait déjà,
comme on vient de le voir, essayé d'adapter le haïkaï
à
la poésie française, dans la plaquette citée plus haut.
PAUL-LOUIS COUCHOUD choisit entre les trois mots japonais (hokku, haiku, haïkaï)
qui désignent le poème
de dix-sept syllabes, le nom de haïkaï
qui s'est imposé depuis en France.
9. FERNAND GREGH.
- Quatrains à
la façon des haïkaï
japonais, dans la Revue de Paris du 1er Novembre 1906, pages
183-185.
Portant pour épigraphes deux haïkaï
de MORITAKE et de BUSON, et quelques phrases de P.-L. COUCHOUD, ce sont douze
beaux quatrains rimés, qui contiennent certes infiniment plus de mots
et d'images qu'un haïkaï,
mais qui conservent pourtant, en l'adaptant à
la versification française traditionnelle, quelque chose de l'esprit
japonais.
Ces quatrains ont été réimprimés dans le recueil
de poèmes
de FERNAND GREGH.- La Chaîne éternelle. (1910).
10. MARQUIS
DE LA MAZELIERE. - Le Japon. Histoire et Civilisation. Plon-Nourrit,
1907. 3 vol. in-16.
Au tome III de cet important ouvrage, l'auteur consacre deux pages (pages
362-363) au haïkaï.
Il donne quelques traductions, d'ailleurs assez médiocres, car elles
ne cherchent aucunement à
rendre le rythme des trois vers, et se bornent à
une ligne de prose.
11. MICHEL REVON.
- Anthologie de la littérature japonaise, des Origines au XXe Siècle.
Paris, Ch. Delagrave, 1910, petit in-12, 476 pages.
Ce remarquable ouvrage contient des études documentées et
précises sur tous les genres de la littérature japonaise, ainsi
que des traductions fidèles,
sinon élégantes.
On y trouvera une étude sur la tanka (pages 82-83, cf. page 234) et une
autre-sur le haïkaï
(p. 381). Des traductions de haïkaï
sont données aux pages 381 à
399; 404 et 453.
12. JULES ARNOUX,
agrégé des lettres. - Le Peuple japonais. Marcel Rivière,
1912, petit in-8, 510 pages.
Je ne cite ce gros livre que pour donner un exemple de la complète
incompréhension que les Européens ont souvent de la poésie
Japonaise. Les courtes lignes que l'auteur consacre au haïkaï
(p. 192-193) prouvent manifestement qu'il n'y a rien compris. Elles commencent
par ces mots: "La décadence s'aggrave... Une pièce
aussi courte ne prête
pas à
l'inspiration" et se terminent ainsi: "Le poète
Matsoura Baço (Bashô) a été un vrai chef d'école
en ce genre et a connu la popularité. Il donne parfois une fugitive impression
d'art... Les Japonais goûtent
chez lui la menue perfection du détail."
13. LÉO
LARGUIER. - La Vie en Bleu. Rois artiste. Haïkaï,
dans la Revue Bleue du 21 Décembre 1912, pages 797-798.
Une chronique sur les rois artistes donne à
l'auteur de cet article l'occasion de parler du Mikado, et, à
la faveur de cette transition, du haïkaï.
Trois haïkaï
japonais sont cités sans nom d'auteur ni de traducteur. Les auteurs "ont
KIKIN, CHIYO et ISSA, le traducteur P.-L. COUCHOUD.
14. JULIEN VOCANCE.
- Cent Visions de Guerre, dans la Grande Revue de Mai 1916 (pages
424-435).
Le titre que l'auteur désirait donner à
ces beaux haïkaï,
par analogie avec de célèbres
recueils d'estampes japonaises, était Les Cent Vues de la Guerre.
Plusieurs furent reproduits par des journaux et revues de France, et de l'étranger,
notamment par:
Paris-Midi, du 30 Mai 1916.
Le Siècle et l'Action, du 31 Mai 1916.
L'Atlanto (Journal grec de New-York) du 6 Juin 1916, sous le titre: "è nea tcchnè".
La France, du 7 Juin 1916.
De Telegraaf du 17 Juin 1916.
Die Vossische Zeitung du 24 Juin 1916, sous le titre : "eine neue franzosische Dichtkunst".
Le Mercure de France du 1er Juillet 1916 (page 125), avec une note élogieuse de CHARLES-HENRY HIRSCH.
Ils inspirèrent de plus l'important article suivant:
15. V. (EMILE
VUILLERMOZ). - Une leçon, dans le Temps du 28 Mai 1916.
Analysant les Cent Visions de Guerre de JULIEN VOCANCE, l'auteur
insistait sur la sincérité de ce témoignage d'un combattant
et opposait la concision dramatique de ces petits poèmes
aux élucubrations des bavards de l'arrière.
L'article fut reproduit par divers journaux, notamment l'Express de
Lyon du 29 Mai 1916, sous le titre: "La littérature de demain
et la guerre", la Razon du 18 Juin 1916 sous le titre: "En
una libreta de combatiente" et la Croix de Saône-et-Loire
du 4 Juillet 1916.
J'en ai cité les phrases les plus caractéristiques dans mes articles
cités plus loin: Le haïkaï
français (dans la Grande Revue de Février 1923, page
611 et de Mars 1923, page 76).
16. GEORGES
LIGES. - Les Japonais amis de la France, dans la Presse du 1 Janvier
1917.
Essai sur l'âme japonaise et la guerre, qui prend pour conclusion
deux haïkaï
comparés, l'un du grand poète
japonais BASHÔ, l'autre de JULIEN VOCANCE (extrait des Cent
Visions de Guerre).
17. PAUL-LOUIS
COUCHOUD. - Sages et Poètes
a'Asie. Calmann-Lévy, 1917, in-16, 299 pages.
Le second des essais qui composent ce délicieux ouvrage (pages 51
a 137) s'intitule: Les Epigrammes lyriques du Japon. Il reproduit l'article
signalé plus haut et paru sous le même
titre dans les Lettres en 1906. Il y ajoute seulement une conclusion
nouvelle où
sont reproduites et commentées quelques-unes des Cent Visions de Guerre
de JULIEN VOCANCE.
On lira aussi, avec intérêt,
dans la Préface, (pages 6-9), le passage où
l'auteur dégage l'essence de la poésie japonaise, en l'opposant
à
l'éloquence lyrique des Occidentaux et en l'assimilant à
ce que STÉPHANE MALLARMÉ nommait l'orphisme.
18. JEAN PAULHAN.
- Les haïkaï
japonais, dans la Vie de Février 1917 (10, rue du Cardinal-Lemoine,
Paris, 5e).
Pénétrante étude sur le haïkaï,
d'après le
livre cité de PAUL-LOUIS COUCHOUD.
19. JULIEN VOCANCE.
- Fantômes d'hier et d'aujourd'hui, dans la Grande Revue
de Mai 1917 (pages 475-484).
90 haikai sur des sujets très divers:
I. Hier. Sous le titre: L'Epopée, 40 haïkaï de guerre.
Deux autres, censurés, n'ont pu être publiés à l'époque.
Je les ai cités dans la Grande Revue de Mars 1923: ce sont les
deux derniers au bas de la page 78.
II. Aujourd'hui. 9 haikai sur les Faubourgs, 15 notes de voyage
en Vivarais, 20 intérieurs, haïkaï amoureux et familiaux; enfin,
en une suite de 6 haïkaï, une Courte biographie.
Ces poèmes furent signalés notamment:
dans la Revue de Hollande (La Haye) de Juin 1917, sous la rubrique: "Les
Revues françaises";
dans la France du 25 Juin 1917, sous la signature d'HENRIETTE CHARASSON;
dans le Mercure de France du 1 Juillet 1917, au Memento des Revues.
CH.-H. HIRSCH y mentionnait les haïkaï "de M. Julien Vocance, un des plus
originaux poètes qui soient aujourd'hui, l'un des plus réellement maîtres
de la langue et du rythme, un authentique ciseleur et qui pense, voit, est sensible,
mérite déjà la gloire d'un maître, et la conquerra, parce
qu'il est sincère." (Page 144).
20. GEORGES
SABIRON. - Poussière
de poème,
dans la Vie de Mars 1918.
GEORGES SABIRON, soldat au 149e d'Infanterie, lut et apprécia
Sages et Poètes d'Asie et les Cent Visions de Guerre. Il écrivit
ces haïkaï dans les tranchées où quelques mois après, il fut tué.
Ses haïkaï, par l'originalité de leur pensée et de leur vision,
par la sureté de leur rythme, comptent parmi les meilleurs qu'on ait
écrits en français.
21. NOZIERE.
- Scènes
et Coulisses. Lettres et arts, dans Oui du 6 Août
1918.
La chronique porte en sous-titre: Propos de théâtre. Poésie
et théâtre japonais. Elle est consacrée à une séance
du groupe "Art et Liberté", où M. CARLOS LARRONDE et Mme LARA
parlèrent du haïkaï, en se réclamant de PAUL-LOUIS COUCHOUD et de MICHEL
REVON. L'auteur analyse avec subtilité l'art du haïkaï, "impressionnisme
synthétiques". Il signale les haïkaï mis en musique par le compositeur
CAROL-BÉRARD.
22. RENÉ
MAUBLANC. - Haï-kaï
dans la Gerbe de Juin 1919 (pages 259-261). (Directeur: Alb. Gavy-Bélédin,
30, rue Jean-Jaurès,
à
Nantes.)
Dix-sept haïkaï précédés d'une courte introduction,
appelant les "esprits curieux" à essayer ce nouveau genre poétique.
23. GILBERT
DE VOISINS. - Fantasques. Petits poèmes
de propos divers, in-8,. 303 pages. Paris, Georges Crès,
1920.
Ce livre de poèmes contient en tout 29 haïkaï en tercets rimés, réunis
par petits groupes, en différents endroits, sous le même titre:
Quelques haïkaï japonais.
Les références exactes sont:
CX - page 57 - 4 haïkaï.
CCII - page 104 - 5 haïkaï.
CCCXIV - page 159 - 5 haïkaï.
CDXIII - page 206 -- 5 haïkaï.
DXIV - page 255 - 5 haïkaï.
DLXXXII - page 290 - 5 haïkaï.
Il serait aisé de trouver une influence japonaise dans beaucoup d'autres
poèmes du recueil, notamment dans des quatrains.
24. JOSEP-MARIA
JUNOY. - Amour et paysage, traduit du catalan. Barcelone, chez Dalman.
Paris, chez Emile-Paul. Petit in-8, 1920.
Cette plaquette de 39 pages, luxueusement éditée et tirée
seulement à 300 exemplaires contient 30 haïkaï de forme très irréguliere
et d'une vive originalité. Cinq sont en catalan, les vingt-cinq autres
sont traduits en français.
25. DIVERS.
- Haï-kaïs,
dans la Nouvelle Revue Française du 1er Septembre 1920 (pages
329-345).
Précédé d'un bref manifeste de JEAN PAULHAN, c'est
un choix de haïkaï
français:
11 de PAUL-LOUIS COUCHOUD, tirés de sa plaquette: Au fil de l'eau (et datés par erreur de 1903).
11 de JULIEN VOCANCE, datés de Mai 1916, et portant le titre : Au Cirque.
5 de GEORGES SABIRON, tirés de Poussière de Poème (publié par la Vie).
5 de PIERRE-ALBERT BIROT, sous le titre Poèmes sur Mesure.
11 de JEAN-RICHARD BLOCH, sous le titre Maison en Poitou.
6 de JEAN BRETON (pseudonyme littéraire du philosophe C. BOUGLÉ).
11 de PAUL ELUARD, sous le titre Pour vivre ici.
2 de MAURICE GOBIN.
1 de HENRI LEFEBVRE.
2 d'ALBERT PONCIN.
11 de RENÉ MAUBLANC, dont 4 publiés antérieurement dans la Gerbe.
6 de JEAN PAULHAN. Cet article fut signalé de divers côtés, notamment par Excelsior le 1er Septembre 1920 et par le Mercure de France du 15 Octobre 1920, dans son Memento des Revues, où est notée à juste titre l'influence de JULES RENARD.
26. OLIVIER
RÉALTOR. - Haïkaïs,
dans Pour le plaisir (42, boulevard Aug. Blauqui, Paris), du 15 Septembre
1920.
Le même auteur a publié, paraît-il, plusieurs séries
de haïkaï dans de jeunes revues littéraires, en 1917 et 1918.
Ces haïkaï ont été réunis en un volume: Dans les Jardins
d'Utopie.
Je regrette de n'avoir pu retrouver aucun de ces textes, qui ne sont même
pas à la Bibliothèque nationale.
27. RENÉ
MAUBLANC. - Sur le haï-kaï
français, dans la Gerbe, d'Octobre 1920 (pages 1 à
5).
Etude critique sur les origines du haïkaï japonais et du haïkaï français,
les divers genres de haïkaï: pittoresque, mystique, sentimental, les règles
techniques du haïkaï, sa valeur poétique; le haïkaï est considéré
surtout comme un art d'amateur.
28. DIVERS.
- Quelques exemples, dans la Gerbe d'Octobre 1920 (pages 6-9).
Comme suite à
l'article précédent, 29 haïkaï
(dont trois empruntés à
la Nouvelle Revue Française):
5 de JEAN BRETON (pseudonyme littéraire du philosophe C. BOUGLÉ).
3 d'ANDRÉ CUISENIER.
2 de BERNARD DESCLOZEAUX
5 de MAURICE GOBIN.
1 d'HENRI LEFEBVRE.
3 de JEANNE BÉLÉDIN-DESTRANGES.
10 de RENÉ MAUBLANC.
29. D... - Le
Haïkaï
dans l'Ere Nouvelle du 10 Novembre 1920.
Intéressant et sympathique résumé des tendances du
haïkaï
français. L'auteur insiste sur la concision du haïkaï
et son mépris de l'éloquence, distingue, à
la façon de l'article précédent, les divers genres de haïkaï
et cite quatre exemples (de J. R. BLOCH, MAURICE GOBIN, JEAN PAULHAN et RENÉ
MAUBLANC) empruntés à
l'article cité de la Nouvelle Revue Française.
30. JULES ROMAINS.
- Chronique, Poésie, dans l'Humanité du 16 Novembre
1920.
Ce très
important article discute la tentative de fonder le haïkaï
français, à
propos des articles cités de la Nouvelle Revue Française
et de la Gerbe. Il insiste sur la question, soulevée dans la Gerbe,
d'un art d'amateur, affirme la nécessité d'une règle
poétique et cite quelques haïkaïs
de GEORGES SABIRON, ANDRÉ CUISENIER, JEAN PAULHAN, RENÉ MAUBLANC.
L'article à
été reproduit dans la Gerbe de Janvier 1921 (pages 98-103)
sous le titre: A propos du haïkaï.
J'en ai reproduit des extraits dans mon article cité plus loin: Le
haïkaï
français (dans la Grande Revue de février 1923, pages
617-618 et 622-623).
31. J. V.-B.
- Les Lettres, dans Comoedia du 26 Novembre 1920.
L'auteur, à
propos de l'article de la Nouvelle Revue Française, rappelle les
imitations du haïkaï
japonais faites par FERNAND GREGH et cite deux de ses quatrains japonisants
publiés en 1910 dans la Chaîne éternelle.
32. JULES ROMAINS.
- Chronique, Poésie, dans l'Humanité du Décembre
1920.
Ayant reçu, à
la suite de sa chronique précédente, un certain nombre de haïkaï
des lecteurs de l'Humanité, JULES ROMAINS en publie huit: deux
de deux anonymes différents un de HENENSAI, cinq (excellents) de JEAN
BAUCOMONT.
33. LILIAL TRIST.
- Haïkaïs
macabres, dans Pour le Plaisir du 15 Décembre 1920.
Seize haïkaï,
dont il vaut mieux, à
mon avis, ne rien dire.
34. JULES ROMANS.
- Chronique, Poésie, dans l'Humanité du 3 Janvier
1921.
A la fin de sa chronique et "pour nous rafraîchir l'humeur",
Jules Romains nous cite deux haïkaï
reçus d'un jeune amateur rémois - que je voudrais bien
connaître.
35. GEORGES-ARMAND
MASSON. - L'haïkaï,
dans la Renaissance (10, rue Royale, Paris) du 22 janvier 1921.
L'auteur essaie d'établir que le créateur du haïkaï
français n'est pas P.-L. COUCHOUD, non plus que JULIEN VOCANCE, mais
OLIVIEB RÉALTOR, dont il cite quelques poèmes.
La comparaison de deux dates suffit à
combattre cette prétention: les premiers haïkaïs
d'OLIVIER RÉALTOR ont paru dans des revues littéraires aux environs
de 1914, le recueil de P.-L. COUCHOUD, Au fil de l'eau, est de 1905.
36. JACQUES
BOULENGER. - Divers poètes,
dans l'Opinion du Samedi 29 Janvier 1921, pages 122-124.
Après
avoir analysé le haïkaï
japonais d'après
les traductions de P.-L. COUCHOUD et M. REVON, l'auteur compare cette forme
de poésie avec les oeuvres de plusieurs poètes
français contemporains: ANDRÉ SPIRE, PHILIPPE SOUPAULT. Il s'arrète
sur le livre cité de GILBERT DE VOISINS: Fantasques. Il note que
l'emploi de la rime dans les tercets de GILBERT DE VOISINS enlève
à
ces poèmes
imités du japonais une partie du charme, avant tout visuel, de l'original.
37. RENÉ
DRUART. - Vingt-quatre haïkaï,
dans la Gerbe de Janvier 1921, pages 108-111.
Haïkaï
réguliers ou irréguliers (distiques ou quatrains) de l'excellent
poète rémois,
aujourd'hui directeur du Pampre.
38. JULIEN VOCANCE.
- Art poétique, dans la Connaissance de Juin 1921, (pages
489-491).
34 haïkaï
qui développent la doctrine du poète:
simplicité, sincérité, haine de l'éloquence et de
la littérature, recherche de la sensation brute, et recherche aussi des
sonorités et des allitérations.
J'ai commenté cet Art poétique dans mon article: le Haïkaï
français (Grande Revue de février 1923, pages 614-616).
39. DOETTE YLSÉE.
- Tandis que fume le thé japonais, dans l'Expansion de
juin 1921.
Je cite cet article sans l'avoir eu sous les yeux.
40. DANIEL ESSERTIER.
- Réflexions sur la pensée contemporaine. - Psychologie
et littérature. - II, dans Foi et Vie du 1er Octobre 1921.
Intéressante étude motivée par l'Art poétique
de JULIEN VOCANCE, Le haïkaï
est rapproché d'autres manifestations de la littérature contemporaine,
notamment des poèmes
de VILDRAC, G. DUHAMEL, G. CHENNEVIERE et des romans de MARCEL PROUST. Toutes
ces ouvres sont considérées, par la haine des mots et de l'éloquence,
comme un effort vers la sincérité de la sensation brute, de l'intuition
immédiate et comme une application, en quelque mesure, de la psychologie
bergsonienne. Mais l'auteur reproche au haïkaï
d'immobiliser et par là
de tuer l'état de conscience, au lieu de le reproduire dans sa continuité
vivante.
41. JEAN-RICHARD
BLOCH. - Variations sur un thème
intérieur, dans les Cahiers Idéalistes de décembre
1921, pages 232-234.
C'est une série de seize "tankas", poèmes
de cinq vers non rimés, dont le premier, le troisième
et le cinquième
sont plus longs que les deux autres. Comme dans la tanka japonaise, les trois
premiers vers se distinguent le plus souvent avec netteté des deux derniers,
qui proposent un contraste, donnent une réponse ou une explication.
Les meilleurs de ces petits poèmes
sont, à
mon sens, ceux où
l'auteur s'est astreint à
un nombre régulier de syllabes (notamment 8, 5, 8, 5, 8 ou 8, 6, 8, 6,
8).
42. PAUL ELUARD.
- Les Nécessités de la Vie et les Conséquences des Rêves,
précédé d'exemples. Paris, au Sans Pareil, 1921,
in-16, 74 pages.
Dans les exemples qui précedent le volume et en remplissent
d'ailleurs 48 pages sur 74, on trouve 4 haïkaï,
aux pages 21, 30, 32, 34. Les trois premiers ont été-publiés
déjà
dans la Nouvelle Revue Française (1 septembre 1920): Tous sont
également mystérieux: et hermétiques.
43. ALBERT DE
NEUVILLE. - Epigrammes à
la japonaise. Paris, Ch. Bosse, 1921, in-12, 74 pages.
Ce sont 249 quatrains rimés, dont 31 sont imités directement
soit de haïkaï
japonais, soit de poèmes
hindous et persans, soit d'épigrammes italiennes et espagnoles, soit
des Histoires naturelles de JULES RENARD. Les trente et un modèles,
sont cités en appendice.
Dans les poèmes
originaux, l'influence de JULES RENARD est souvent très
visible.
44. MAURICE
BETZ. - Scaferlati pour troupes, poèmes.
A. Messein, Paris, 1921,
in-16, 127 pages.
Dans cet intéressant et original recueil de poèmes
écrits par un combattant, la Petite suite guerrière
(pages 22-25) se compose de 18 haïkaï.
45. NICO-D.
HORIGOUTCHI. - Tankas. Editions du Fauconnier, Paris, s. d. [décembre
1921], in-16, 119 pages.
Ce sont des tankas écrites en japonais par un japonais, (le titre
de l'ouvrage japonais est: A travers le Monde) et traduites par lui-même
en français, sans rimes, en tercets ou en quatrains, plus rarement en
distiques ou en strophes de cinq vers.
Ces poèmes
trahissent les influences tantôt de la vieille poésie japonaise,
tantôt de la poésie européenne et particulierement d'HENRI
HEINE.
A noter particulièrement,
comme les séries les mieux venues, Impressions, Tristesse, La Femme
et la Mer, Feuilles Mortes et Sacrilège
Amour.
Le recueil est précédé d'une préface délicate
et nuancée de PAUL FORT.
46. RENÉ
MORAND. - Poèmes.
Marcel Seheur, 1922, 49 pages.
Ce recueil contient neuf haïkaï,
en trois séries de trois, aux pages 16, 26 et 36. Deux de ces haïkaï
ont été cités par RENÉ KERDYK dans sa chronique
du Crapouillot: "La poésie et les poètes".
(1 juillet 1922, page 6).
47. RENÉ
MAUBLANC. - Un mouvement japonisant dans la littérature contemporaine:
le haïkaï
français, dans la Grande Revue de février 1923 (pages
604-625) et mars 1923 (pages 68-85).
Cette étude développe une conférence faite au Musée
Guimet le samedi 11 mars 1922, sous les auspices de l'Association française
des Amis de l'Orient, Après
quelques pages d'introduction sur le haïkaï
japonais, l'auteur fait l'historique de l'influence japonisante en France, discute
les principes, les tendances et la technique -du haïkaï
français et cite un grand nombre de haïkaï,
dont beaucoup d'inédits, classés selon leur sujet (animaux, figures
et scènes
de genre, paysages, paysages sentimentaux, tableaux de guerre, haïkaï
psychologiques, haïkaï
symboliques).
Ces articles ont été signalés notamment dans Paris-Midi
du 3 Avril (qui cite 8 haïkaï
de JEAN BRETON, RENÉ DRUART, RENÉ GEORGIN, JULIEN VOCANCE, GEORGES
SABIRON et B. M.), l'Intransigeant du 7 avril (qui cite 2 haïkaï
de RENÉ DRUART et GEORGES SABIBON; article reproduit dans le Soleil
de Marseille du 16 avril, le Radical, le Rappel et la Lanterne
du 8 avril (qui citent des pages entières
des articles de la Grande Revue, avec 16 haïkaï),
le Populaire (de Paris) du 11 avril (qui cite 2 haïkaï
de Nico HORIGOUTCHI et 4
haïkaï japonais anciens) et le même
Populaire du 25 avril. L'Echo National du 9 mai, citant et discutant
la conclusion de l'article, croit que les haïjin
français ne recherchent que le plaisir superficiel de l'image piquante
et répudient la profondeur. Dans Les Hommes du jour du 21 avril
(page 13) A. DU BIEF propose à
notre imitation, au lieu des haïkaï,
de courte poèmes
chinois, qu'il cite dans les traductions de CHARLES LAURENT. Dans le Crapouillot
du 16 Juillet (page 12). ALPHONSE MÉTÉRIÉ cite un haïkaï
de R. M. et une phrase de MAX JACOB, extraits tous deux du même
article.
48. JEAN BACH-SISLEY.
- Essai de Haïkaï,
dans la Gazette des Sept Arts (12, rue du Quatre-Septembre, Paris,
2e) du 10 mai 1923, page 7.
Sept haikai excellents.
49. Parmi les haïkaï inédits que leurs auteurs se promettent de publier prochainement, je peur citer:
JULIEN VOCANCE. - Paysage parisien.
RENÉ DRUART. - L'épingleur de haïkaï (1917-1923), recueil de huit sériée de haïkaï, parmi lesquelles: Paysages dévastés (1919) et Voyage en Italie (1923), suivi d'un poème de vingt-quatre haïkaï en vers de six pieds: Marais sous la lune (1922).
HENRI DRUART. - Quatorze séries de douze haïkaï, notamment: Les Soucis des bêtes. Les douze fruits de la journée, Neurasthénie et joie des Champ, Drelan d'artistes et d'artisans ou Fins ivoires du vieux Japon. Le train passe et le Sage pense, Cloche qui tinte en bel avril. Le ruisseau court au village, Chants d'alouettes dans les labours.
RENÉ MAUBLANC. - Cent haïkaï (à paraître aux éditions du Mouton blanc).
50. A côté des poésies directement inspirées du haïkaï, il y a dada la littérature contemporaine beaucoup d'oeuvres - en vers ou en prose - qui révèlent une inspiration fort analogue. C'est ainsi qu'on trouvera dans les pages suivantes, melés à nos haïkaï, des oeuvres des trois auteurs suivants:
FRÉDÉRIC NIETZSCHE. - Ecce Homo, suivi des Poésies, traduit par HENRI ALBERT, Mercure de France, 1909. Il s'agit de tercets tirés des Maximes et Chants de Zarathoustra (1882-1888).
JULES RENARD. - Histoires Naturelles. (1e édition, 1896; 2e édition, 1904). Du même, Nos frères farouches. Ragotte, 1907.
MAX JACOB. - Le Cornet à dés, publié en 1917, mais écrit à partir de 1906.
R. M.
DEUX
CENT QUATRE-VINGT-TROIS
HAIKAI CHOISIS
I
ART
POÉTIQUE
Trois vers et très
peu de mots
Pour vous décrire cent choses...
La Nature en bibelots.
Gilbert
de Voisins - 1920.
Le
Poète
japonais
Essuie son couteau:
Cette fois l'éloquence est morte.
Julien
Vocance - 1921.
Evoque,
suggère.
En trois lignes
Montre-moi ce masque impassible,
Mais toute la douleur par-dessous.
Julien
Vocance - 1921.
II
ANIMAUX ET FLEURS
LA
PIE
Il lui reste toujours,
Du dernier hiver,
Un peu de neige.
Jules
Renard
Roides
sur les pierres blanches
Les corbeaux célébraient
Leur victoire aux échecs.
René
Druart - 1920.
Au
passage d'une hirondelle
Les ailes de ses soeurs
Se soulèvent...
René
Druart - 1923.
Flaque
d'eau sans un pli.
Le coq qui boit et son image
Se prennent par le bec.
René
Sabiron - 1918.
Perchée
sur la roue,
La Poule
Pose pour la Fortune.
Albert
Poncin - 1920.
Nous
voilà
donc,
Sous la tonnelle parfumée,
Seuls, ô
ma bien aimée!
Pardon, dit la guèpe, pardon.
Albert
de Neuville - 1921.
D'un
tas inerte de crottin
L'auto rapide
Fait jaillir deux hirondelles.
René
Druart - 1923.
Deux
liserons énormes,
Embouchures de phonographes
Dissimulées dans la verdure.
René
Druart - 1923.
Au
paysage réduit des mottes d'herbes
Serpente comme un train de wagons
Le noir staphylin.
René
Druart - 1923.
Droite sur sa tige,
La tulipe au hennin rouge.
Où
est donc son page?
Rita
del Noiram - 1923.
L'ESCARGOT.
Casanier dans la saison des rhumes,
Son cou de girafe rentré,
L'escargot bout comme un nez plein.
Jules
Renard
Il
se promène
dès
les beaux jours,
Mais il ne sait marcher
Que sur la langue.
Jules
Renard
On
trouve un rêve
partout:
Sous le ventre des limaces
Et dans le sein vert des choux.
Gilbert
de Voisins - 1920.
LE
PAPILLON.
Ce billet doux
Plié en deux
Cherche une adresse de fleurs.
Jules
Renard
Oh!
le beau papillon de nuit!
Il va se brûler
les ailes...
Vite, je souffle sur la bougie!
Victor
Goloubeff - 1921.
Siemreap,
la nuit, sur la vérandah de notre bungalow.
Nacrée
comme un canif
Perdu dans l'herbe,
Une ablette morte.
René
Druart - 1923.
Tu
es trop petit, chaton, pour savoir.
Ne mords pas là-dedans:
C'est ta queue.
René
Maublanc- 20 Juillet 1917.
Loin
du bouc inconstant
La chèvre
égrène
l'alphabet morse de ses plaintes,
De ses crottes.
Albert
Poncin - 1920.
Sur
sa mule pomponnée,
Que vient faire à
Montargis
Ce nain de Velasquez?
P.-L.
Couchoud - 1905.
La
vache repue
Ne voit que le pied
Du saule argenté.
P.-L.
Couchoud - 1905.
Sons
le joug bien attaché
Les boeufs béats
Bavent.
Albert
Poncin - 1920.
Bien
attachés an sol par un filet de bave.
Pas de danger qu'ils bougent,
Les boeufs.
Albert
Poncin - 1920.
Habillée
en cheval.
Elle ne sait pas se servir du mors,
La vache.
Albert
Poncin - 1920.
Précautionneusement,
Elle pose le pied
Au milieu de sa bouse.
Albert
Poncin - 1920.
Sur
le chemin de halage,
En bonnets de fous,
Deux bourricots.
P.-L.
Couchoud - 1905.
Cris
de singe, cris de paons...
Deux charbons ardents dans un essaim de lucioles...
Enfermez le chien! Une panthère
rôde;
Victor
Goloubeff - 1921.
Dans
la brousse Cambodgienne.
III
SUR DES BIBELOTS JAPONAIS
DU
MUSEE D'ART DE NEW-YORK.
De son marteau
Le tonnelier
Va fendre la terre.
Henri
Druart - 7 Octobre 1922.
La bonne ménagère
Lave son enfant
Dans l'eau de lessive.
Henri
Druart - 7 Octobre 1922.
Achetez
mes pommes.
Dans un instant
J'aurai tout mangé!
Henri
Druart - 7 Octobre 1922.
Vrai!
les Japonais,
Gens pressés, qui vont
Sur des dos de vaches!
Henri
Druart - 12 Octobre 1922.
Joie
de vivre
Avec un ventre
Qui sert de coussin.
Henri
Druart - 7 Octobre 1922.
IV
INTÉRIEURS
Marmites, bouquins
Voisinent en bons rapports!
Sagesse ou folie?
B. Hirami
- 1923.
La
pipe. La théière.
Une fleur. Un paravent.
Toute une vie.
Olivier
Realtor
Crotte de papier par ci,
Crotte de papier par là:
Tiens! mon mari est rentré!
Jean
Breton - 1920.
Penchant
l'un vers l'autre leurs courbes,
Les rideaux esquissent des dames
Qui se saluent.
René
Georgin - Février 1922.
Le
ventre bombé de l'horloge
Digère
- bourgeois des dimanches. -
Le balancier.
René
Georgin - Février 1922.
Les tableaux, aux bout des cordons,
N'apprennent-ils pas à
marcher?
Le mur les tient.
René
Georgin - Février 1922.
Maison
fermée.
Craquement de meubles.
Dialogues des morts.
Jean
Breton - 1920.
Dans
ma chambre de malade
La grande glace me regarde,
Avec les yeux glacials du destin.
Nico
D. Horigoutchi - 1921.
Mon
pouls et la pendule
Ne marchent plus au pas:
Trente-sept neuf.
Albert
Poncin - 1920.
Au
pied du mur, l'armoire à
glace,
C'est lu guillotine:
On y voit nos deux têtes
pécheresses.
Max Jacob
- 1917.
Quand
ils s'assemblent
Des absents sont là
Et des morts renaissent.
André
Cuisenier - Mai 1920.
Le
piano chante.
Un violon vibre.
L'unanime s'écoute.
Bernard
Desclozeaux - Avril 1920.
An
piano:
Quatre mains.
Un seul coeur.
René
Maublanc - Septembre 1922.
V
FETES
Oie grasse truffée,
Marrons, boudins, saucisses:
Coliques demain.
B. Hirami
- 1922.
Des
cris et des râles...
Qui égorge-t-on?
Le cochon d'Auguste.
B. Hirami
- 1923.
Deux
cardinaux
Partagent une pomme
Dans la sacristie du village.
Albert
Poncin - 1920.
Sous
la pluie, des voiles blancs.
Les communiantes...
A quoi pense-t-il, le Bon Dieu?
Georges
Garreta - Avril 1923.
Dans
l'antique église
Sous les chapiteaux obscènes
Un Sacré-Coeur de sucre.
P.-L.
Couchoud - 1905.
Gente
villageoise à
confesse.
Gros pieds s'agitent tout confus.
Péché d'amour passe.
Violette
- 1923.
Le
Pasteur
A pris pour petite bonne
Une jolie catholique.
P.-L.
Couchoud.- 1905.
Vous
qui passez dans l'ombre
Le long des peupliers
Etes-vous des amants?
P.-L.
Couchoud - 1905.
Sous
le clair de l'une
Des silhouettes noires
Comptent les heures qui sonnent.
Bernard
Desclozeaux - Avril 1920.
Deux
silhouettes sous la lune;
A chaque coup qui sonne,
Un baiser sur les lèvres.
René
Maublanc - Mai 1920.
Deux
jeunes filles causent.
Un couple flirte et rit.
Joie du philosophe attentif.
Anonyme
- Mai 1923.
«Et
homo factus est»
Chante en souriant
La fille-mère
de l'année.
Albert
Poncin - 1920.
Un
ours qui dansait
Quitta la place du village
Et alla pisser contre un mur.
Max Jacob
- 1917.
La
foire bat son plein.
Devant la foule ébahie
Chante «L'Armée du Salut».
B. Hirami
- 1923.
L'acrobate
Ne peut plus
Dégager sa vertèbre.
Julien
Vocance - Mai 1916.
Après
le «tour»
Son visage se crispe:
II sourit.
Julien
Vocance - Mai 1916.
VI
ENFANTS
La petite figure rose
Rougit et noircit de colère,
Puis elle crève
comme un orage.
René
Maublanc - 13 Juin 1917.
L'une
peut dire «Papa»,
L'autre ne sait pas.
Ma nièce
ou sa poupée?
Albert
Poncin - 1920.
Le
bobo
Du bébé
A remué cinq étages.
Julien
Vocance - 1917.
Ma
fille, tu dors,
Mais moi j'écoute la vie
Qui frappe à
ta tempe.
Madame
Lesage - Mai 1921.
VII
SOMMEIL
Tu
dors.
J'écoute ton souffle,
liais nul n'entend le mien.
Jeanne
Bélédin-Destranges - Octobre 1920.
Lu
paupière
fermée,
Oh! sur mes yeux
Le soleil du printemps!
Roger
Vailland - Avril 1928.
Scintillement
d'or et de pierreries
Dans un pays enchanté.
Soleil du matin à
travers mes paupières.
André
Bocquet - Avril 1923.
Je
dors: de l'or.
Je me réveille:
Du plomb.
Georges
Long - Mars 1923.
Couché
dans l'herbe,
Sur ma paupière
Oh! la fraîcheur de mon bras nu!
Roger
Vailland - Avril 1923.
VIII
QUATRAINS
A LA FAÇON DES HAIKAI JAPONAIS
SUR
UN ARBRE NAIN DU JAPON:
Massif, il semble grand dans son vieux pot de marbre.
La leçon qu'il nous donne, exquise, est grande aussi:
C'est de faire tenir la forêt
dans un arbre!
Partout l'art, au Japon fabuleux comme ici.
Fernand
Gregh - 1906.
CHENE.
Seul parmi l'hiver nu des autres, tout en or,
Un grand chêne
massif, là-bas,
se dresse encor.
Comme si, peu à
peu, d'arbre en arbre effeuillé,
Tout l'automne s'était en lui réfugié.
Fernand
Gregh - 1906.
CHIENS.
Hiver. Le vent qui siffle, aigre, au trou des serrures.
La tièdeur
de la chambre où
flambe un feu de bois;
Et soudain, par la porte ouverte à
leurs abois,
Les bons chiens apportant le froid dans leurs fourrures.
Fernand
Gregh - 1906.
IX
PAYSAGES
La
récompense du travail,
C'est le regard sur la nature.
L'oeil du paresseux ne voit rien.
Jules
Renard - 1907.
La
branche de marronniers
Avec ses grappes de mains
Plates, molles, noires.
Roger
Lecomte - Juillet 1923.
Au
mur de la colline
On accroche un village
- Mais sans cadre.
René
Druart - 1920.
Comme
une breloque blanche
Sur un grand gilet vert:
Le village sur la colline.
Georges
Long - Mars 1928.
Sur
la toile tendue du ciel,
La locomotive écrase
Un tube de blanc.
René
Druart - 1923.
Le
vent
Hésitant
Roule une cigarette d'air.
Paul
Eluard - 1920.
Dans
l'éclaircie de l'allée d'arbres,
Subite joie blanche
De deux fillettes.
René
Druart - 1923.
D'une
main elle bat le linge
Et de l'autre rajuste
Ses cheveux sur son front.
P.-L.
Couchoud - 1905.
Un
gros tas de feuilles vertes
Passe sur la route
Avec des jambes d'homme.
René
Maublanc - 14 Juin 1917.
De
la pluie pour une heure.
Rapprochez-vous, maisons,
Vous serez moins mouillées!
René
Druart - 1923.
Un
trait de soleil
S'aiguise à
travers la pluie:
Sourire avivé de larmes.
Rita
del Noiram - 1923.
Un
rayon de soleil
Joue sur le mur blanc:
Un sabre d'or.
Georges
Long - Mars 1923.
Des
paquets de mer ont franchi la digue:
Par-dessus le mur
Le lierre déborde.
Julien
Vocance
Sur
le cercle d'horizon blanc
Vingt petits nuages blancs
Ronds comme des ballons captifs.
René
Druart - 1923.
Horizons:
Dômes de nuages
Et les peupliers minarets.
Julien
Vocance
L'épaule brumeuse des monts
Sous les écharpes du soleil
Frissonne encore:
René
Georgin - Février 1922.
Sur
le ciel gris,
Balancement des branches noires.
Indécision.
André
Cuisenier
De
ton coffre de brume,
Impuissant soleil,
Enfin sortiras-tu?
Henri
Druart - 1923.
La
vallée est un golfe,
Où
la ville se noie,
En sonnant les cloches.
René
Maublanc - Bar-le-Duc, mars 1920.
D'une
chétive cabane
S'élève
une fumée
Chaude comme un coeur.
René
Druart - Reims, 1922.
Une
plume donne au chapeau
Un air de légereté:
La
cheminée fume.
Paul Eluard - 1920.
Une
borne sur la route,
Un mot dit par un passant.
Et c'est l'exil.
Marianne
Fock - Mai 1923.
Mais
en exil
A quoi bon cette fleur, cet insecte,
Ce nuage?
J.-M.
Junoy - 1920.
Un
souffle me frôle.
O baiser d'amant!
«C'est moi» dit le vent
Henensal
- Décembre 1920.
Je
me tais. J'écoute
Un pas qui vient sur la route
Et mon coeur qui bat.
Anonyme
- Décembre 1920.
X
PRINTEMPS
Des
points blancs dans un buisson noir.
Est-ce encore de la neige,
Ou déjà
des fleurs?
René
Maublanc - 23 Février 1919.
Avril!
Tiens, il a encore neigé cette nuit?
Non! une haie d'aubépine en fleurs.
Jean
Bach-Sisley - Mai 1923.
Dans
la liesse des fleurs
Le noyer rébarbatif
Perpétue un gerçant hiver.
Henri
Druart - 1 Mai 1923.
Tous
ces verts marronniers pansus
Se moquent entre eux du noyer
Qui n'a pas encore de feuilles.
Roger
Lecomte - Avril I923.
Vent
de printemps.
Bourgeons cassés.
Espoir déçus.
René
Maublanc - 26 Février 1922.
Mon
sorbier brandit vers le ciel,
Pour le repeindre en bleu et blanc,
Cent petits pinceaux vert-pomme.
Jean
Breton - Mars 1921
Hideur
de la prison.
Le criminel a souri
An pissenlit de la lucarne.
Henri
Druart - 1 Mai 1923.
La
fleur bien aimée s'effeuille...
D'autres fleuriront,
Tu les cueilleras.
Pierre
Desclozeaux - 1920.
Des
gouttes de sang
Sont tombées du ciel
Pour s'accrocher au cerisier.
Bernard
Desclozeaux - Juin 1920.
XI
ÉTÉ
Les
joncs même
tombent de sommeil.
Je rôtis délicieusement
Midi.
P.-L.
Couchoud - 1905.
Le
train sur son chemin géométrique
Traverse le mois de Juin.
Les coquelicots font la haie.
P.-A.
Birot - 1920.
En
plein jour dans la prairie
La voie lactée.
Marguerites des près.
Julien
Vocance
Dans
le soir brûlant
Nous cherchons une auberge.
O ces capucines!
P.-L.
Couchoud - 1905.
Avec
sa petite faucille,
Comment pourra-t-elle
Faucher tout le champ ?
P.-L.
Couchoud - 1905.
Les
blés versés...
L'orage a détruit la moisson
Dans mon cour aussi...
René
Maublanc - 24 Juillet 1923.
XII
AUTOMNE
Sous
la treille
Nous avons goûté
des fruits du pays ensemble
Près
de la route ensoleillée.
J.-M.
Junoy - 1920.
Vers
le ciel indigo
Le pommier vend son étalage
De porcelaines écarlates.
Jean
Breton - Septembre 1920.
En
la maisonnette chère,
Rêvons
d'un automne
Fleuri d'amis et de roses.
B. Hirami
- 1923.
Le
banc de bois est humide,
Le banc de pierre est glacé:
Rendez-vous d'automne.
Albert
Poncin - 1920.
Le
vent d'automne
S'écorche aux branches mortes.
Oh! ses sanglots!
Roger
Lecomte - Juillet 1923.
Le dos rond et la tête
basse,
Quand il balaie deux feuilles mortes,
Quatre tombent autour de lui.
René
Maublanc - Octobre 1919.
XIII
HIVER
Les
feuilles sont tombées...
Pauvres arbres tout nus
Pour passer l'hiver!
René
Maublanc - Novembre 1917.
Faute
de feuilles,
Le marronnier, dans la nuit claire de Février,
Prend des étoiles.
Jean
Breton - Février 1922.
Nuit
d'hiver, campagne,
Braise rouge dans la cheminée,
Fit mes amis loin.
Jean-Richard
Bloch - 1920.
Veillée
solitaire:
L'heure où
les chenets renoncent
A nous consoler.
Jean-Richard
Bloch - 1920.
La
neige est trop blanche:
Les chats gris sont noirs,
Et les blancs, jaunes.
René
Maublanc - Février 1919.
Une
semelle et un écu
Cheminent dans la neige:
Piste du braconnier unijambiste.
Albert
Poncin - 1920.
Le
coeur à
ce qu'elle chante,
Elle fait fondre la neige,
La nourrice des oiseaux.
Paul
Eluard - 1920.
L'hiver
meurtrier...
Une rose résiste en mon coeur,
Mon triste amour.
Jean
Bach-Sisley - Mai 1923.
XIV
LA NUIT
Il
reste écrit sur le couchant
Que le vent chassa le soleil
A coups de balai.
Jean
Breton - Avril 1922.
Les
monts figés qui s'assombrissent,
Au loin des maisons qui s'éclairent:
Sérénité.
René
Georgin - Février 1922.
La
nuit. L'ombre du grand noyer
Est une tache d'encre aplatie
Au velours bleu du ciel.
Roger
Lecomte - Janvier 1923.
Caïmans
de la route,
Gueule ouverte dans l'ombre,
Des troncs de noyers.
Julien
Vocance
Plateau
d'argent
Qui quête
des étoiles:
La lune.
Georges
Long - Mars 1923.
Des
nuages noirs immobiles.
Derrière
fuit éperdue
La pleine lune.
René
Maublanc - 24 Septembre 1918.
La
lune moqueuse
D'un petit air indulgent
Lorgne le rideau.
B. Hirami
- 1923.
Nuit
d'Août.
Les crêtes
des montagnes
Avec les étoiles filantes
Jouent à
la balle.
René
Georgin - Février 1922.
L'étoile
Pique de petits coups d'argent
Dans le crépuscule mauve.
Roger
Lecomte - Juillet 1923.
Trémolos
de brise.
La lune sur les tilleuls.
Ta main dans ma main.
Rita
del Noiram - 1923.
Sous
le bleu clair de lune,
Des aboiements lointains.
Les jeunes gens rêvent
d'amour.
Roger
Vailland - Février 1923.
(Adapté
du hova)
Vie d'un instant...
J'ai vu s'éteindre dans la nuit
L'éternité d'une étoile.
Roger
Lecomte - Janvier 1923.
La lune citron
Rit en baignant de rayons
Tous les cimetières.
Anonyme
- Décembre 1920.
Clouée
dans la plaine
Comme un monstre de feu,
La ville nocturne.
René
Druart - 1923.
Sur
la ville morte
Minuit douze fols proclame
Une pensée d'homme.
André
Cuisenier - 1921.
Dans
la campagne endormie
Douze coups lointains.
C'est le temps qui veille et qui passe.
André
Bocquet - Avril 1923.
Dans
le ciel de cendre.
Comme un dernier tison,
La petite étoile.
Roger
Lecomte - Avril 1923.
XV
LA MONTAGNE
Dans
le cirque des montagnes
Dieu a posé son secret,
Qu'a scellé la lune.
Henri
Druart - Saint-Nectaire, Juin 1922.
A
la cloche de la messe
Fidèles
répondent
Mille clochettes de troupeaux.
Henri
Druart - Saint-Nectaire, Juin 1922.
Le
puy,
Gomme l'épaule d'un géant
Couché sur la Limagne.
Roger
Vailland - Avril 1928.
Les
puys,
Je voudrais les pétrir,
Bras nus.
Roger
Vailland - Février 1923.
Le
torrent est despote.
Si large vallée
Pour un filet d'eau!
Henri
Druart - Saint-Nectaire, Juin 1922.
Souples,
les collines
Ondulent l'échine
Sous les cumuli.
Henri
Druart - Saint-Nectaire, Juin 1922.
Les
rochers blancs en tas,
Et l'alpiniste de ces nuages,
L'aérostat.
Max Jacob
- 1917.
XVI
VOYAGES
Dans
le silence de la nuit,
Le sifflement des trains.
Oh! très,
très
loin, ces monts, ces mers et ces soleils!
Roger
Vailland - Février 1923.
Le
train arrivait;
J'avais un baiser tout prêt;
Le train est parti
Jean
Baucomont - Décembre 1920.
Je
m'éveille la nuit.
La lune baigne la route:
Désir de voyage.
Jean
Richard Bloch - 1920.
Des
relents d'huile cuite,
Des parfums de jasmin:
Un patio.
Maurice
Gobin - Cordoue, 1917.
Vers
la tulipe des clochers
Des jouets marchant, blanc, jaune et rouge.
Dimanche en Croatie.
Jean
Breton - Mars 1923.
Un
gros ventre rose
Sur un petit âne:
Vers la mosquée.
Maurice
Gobin - Eyoub, 1917.
D'un
tas de linge sale qui chemine
On voit a l'arrière
émerger
Un crâne de bébé noiraud qui dodeline.
Jean
Breton - Avril 1922.
Sur
un monceau d'épais tapis
Trois moricauds de bronze trônent:
Et sous le tout un ânon trotte.
Jean
Breton - Avril 1922.
Noirs
esclaves des sultanes,
Lies ifs montent la garde
Autour des orangers.
Jean
Breton - Avril 1922.
Tout petit sur son chameau blanc,
Derradji, fils du désert,
Siffle le quadrille des Lanciers.
René
Maublanc - 24 Février 1922.
Criblés
d'ombres par les nuées,
Les monts fauves d'El-Kantara
Sont des léopards assoupis.
Jean
Breton - Avril 1922.
Pour
gifler les enfants pas sages
Les figuiers-nains tendent leurs mains tordues
De grands-mères
rhumatisantes.
Jean
Breton - Avril 1922.
Dans
la lande mauve et safran
Brille l'oiseau vert-émeraude:
Faïence
de mosquée sur un tapis de Fez.
Jean
Breton - Avril 1922.
Pour
vêtir
la plaine brûlée
Le train va lançant des écharpes blanches,
Mais qui s'effilochent.
Jean
Breton - Avril 1922.
J'ai
fini mon beau voyage,
Je rêve
dans les bureaux gris
De méduses et de cormorans.
Henri
Druart - Aout 1921.
XVII
L'EAU
Elle
hâle
le bateau.
Quand l'épaule est meurtrie,
Elle tire avec le ventre.
P.-L.
Couchoud - 1905.
La mare est déployée
Comme un calque d'architecte
Avec, pour presse-papier, les canards.
René
Druart - 1922.
Saut
de poisson dans le silence.
Tout l'étang semble tressaillir
D'une seule goutte de pluie.
Jean
Breton - Septembre 1922.
Au
fil de l'eau, rapprochés, séparés,
Ce bouquet de roses fanées
Et cette lettre déchirée.
Jean
Breton - 1920.
Qui
te parle en souriant?
Non, c'est le ruisseau qui roule
Quelques fleurs.
Paul
Paulhan - 1920.
Son
regard brillant,
La rivière
le voile
D'un jonc souple comme des cils.
René
Druart - 1923.
Les
herbes à
la godille
Pour remonter le courant:
Le vieux pont roussi les regarde.
Julien
Vocance
Toc
et toc, mes pas ferrés
Au son mat sur le pont de bois
Scandant le chant du ruisselet.
Henri
Druart - 1er Mai 1923.
Pour
qu'elle passe le pont qui tremble,
J'ai pris sa main,
Et c'est elle qui m'a soutenu.
Jean
Breton - 1920.
Dans
l'ample courbe du vallon,
Un blanc filet hypocrite
Joint deux villages en brouille.
Henri
Druart - 1923.
Quel
pacha prévu
Pour que tant de branches.
Fassent parasol?
Henri
Druart - 12 Octobre 1922.
La
rivière
coule nue.
Les jeunes arbres vont vivre
Dans les bois.
Paul
Paulhan - 1920.
L'eau
s'affole à
la cascade:
De peur elle écume;
Sauvée...
Henri
Druart - 1923.
Les
molécules de la rivière
Gardent-elles le souvenir
Des ombres d'arbres caressées?
Henri
Druart - 12 Octobre 1922.
O
sept écluses dans les pins!
De quel tombeau surhumain
Etes-vous l'escalier?
P.-L.
Couchoud - Rogny, 1905.
XVIII
LA MER
Au
soleil levant les ombres des villas,
Comme autant de cols de chameaux,
S'allongent jusqu'à
la mer.
Jean
Breton - Juillet 1920.
Calme
plat.
Le ciel s'inverse dans la mer,
Miroir laiteux.
René
Maublanc - 22 Août 1917.
Que
va-t-on penser,
En voyant la trace
De nos pas sur le sable?
Nico
D. Horigoutchi - 1921.
Le
petit port est endormi.
Soudain, dans te silence gris,
Le bout des mâts
s'éclaire!
Maurice
Gobin - Septembre 1918.
Le
reflet du mât
est l'épingle
Qui fixe sur l'écran du fleuve
La silhouette de la barque.
Jean
Breton - Septembre 1922.
La
résille des vagues brille
Au flanc vert du yacht immobile:
Marbre aux veines dansantes.
Jean
Breton - Août 1922.
Bateaux
à
voiles brunes
Quittant le chenal en file,
Défilé d'orphelines.
Henri
Druart - Quiberon, Août 1921.
Bateaux sardiniers au couchant.
Les uns ventres dorés encore,
D'autres déjà
ombres chinoises.
Jean
Breton - Août 1922.
Un
voilier blanc qui s'éloigne vers l'inconnu
Et mon coeur gisant sur le sable
Gomme un coquillage vide.
J.-M.
Junoy - 1920.
Brouillard
sur la mer: ouate
Dont l'aube entoure le navire
Pour qu'il ne se fasse pas mal.
Roger
Lecomte - Juillet 1923.
A
la godille, dans la nuit,
Le sillage de notre barque
Est comme un tourbillon d'étoiles.
Jean
Breton - Août
1922.
Des
sabots tinquetoquent
En minuit pluvieux
Sur le môle
d'où l'on part.
Henri
Druart - Quiberon. - Août 1021.
Le
phare tourne et dit:
A quoi bon te cacher?
Je te vois.
René
Maublanc - Phare d'Ailly, 24 Septembre 1917.
La
mer n'est qu'une écume
Où
vague après
vague se lève
Et roule son dos vert.
Fernand
Gregh - Belle-Ile, 13 Août 1917.
Ma
petite maison,
Vent du Nord,
Ne l'emporte pas!
Maurice
Gobin - 1918.
Comme
un bras de désespoir,
Parfois dans les vagues rageuses
Une épave se lève.
René
Maublanc - 23 Septembre 1918.
Vieille
barque à
la côte,
Pour mol, plus de voile au vent.
Pourtant, je sens la mer qui monte
Jean
Breton - 1920.
XIX
TANKA
Pénombres
des secondes loges;
Douze bras nus de femmes
Pressent deux par deux l'édifice
De leurs colonnes courtes
Comme une géométrie blanche.
Jean-Richard
Bloch - 1921.
Une
tranche de nuit en mouvement
Eclipse et démasque
Les feux de la rive en face;
- C'est un cargo noir
Et muet qui remonte le fleuve.
Jean-Richard
Bloch - 1921.
Si
la photo est manquée
Qu'est-ce qu'il va rester
De la tendre et chère
figure?
- Un trait sur le sable,
Une image dans la mémoire.
Jean-Richard
Bloch - 1921.
XX
LA GUERRE
Dans
un trou du sol, la nuit,
En face d'une armée immense,
Deux hommes.
Julien
Vocance - 1916.
Une
mitrailleuse ensanglantée,
Avant de mourir, a déployé
Son éventail de cadavres.
Julien
Vocance - 1917.
Trou
d'obus où
cinq cadavres
Unis par les pieds rayonnent,
Lugubre étoile de mer.
René
Sabiron - 1918.
Un
trou d'obus
Dans son eau
A gardé tout le ciel.
Maurice
Betz - 1921.
A
un nuage qui bougeait au fond d'une mare
J'ai crié: Qui va la?
Il était loin déjà.
Maurice
Betz - 1921.
L'obus
en éclat
Fait jaillir du bouquet d'arbres
Un cercle d'oiseaux.
René
Sabiron - 1918.
Des
arrivages de chair,
Bien fraîche, toute préparée,
Pour cette nuit sont signalés.
Julien
Vocance - 1917.
Enterré
par l'obus,
Entendre, loin, crier:
Il est mort !
Maurice
Gobin - 1917.
Je
l'ai reçu dans la fesse,
Toi dans l'oeil.
Tu es un héros, moi guère.
Julien
Vocance - 1916.
On
le ramasse, mourant,
Et le major dit: «Foutu!»
Ses paupières
s'ouvrent!
Maurice
Gobin - 1917.
Hier
sifflant aux oreilles,
Aujourd'hui dans le képi,
Demain dans la tête.
Julien
Vocance - 1916.
Montmartre,
tes lumières,
tes femmes
Aux jambes tièdes
et douces...
Depuis hier la pluie crépite sur la tente!
Maurice
Betz - 1921.
Le
jour de la victoire!
Un défilé de veuves et de bambins en noir,
Et la foule étouffant sous les airs triomphant...
Julien
Vocance - 1917.
Tout
le jour tu te lamentes, tu gémis...
De grâce, tais-toi?
On ne te demande pas de donner ta vie...
Julien
Vocance - 1917.
XXI
VINCENNES, 14 JUILLET 1917
Porteurs
de Messieurs sanglés,
Daumonts et landaux
Ont rapidement gagné les emplacements marqués.
Béquiliant ci, tortillant là,
Voici venir, écume et lie,
Les émincés, les raccourcis, dans des vêtements
gris.
Faces fauchées, mufles exsangues,
Chair horrifique et pitoyable,
Que jamais plus des mains de femmes n'aimeront.
Hier: Les clairons aux ardents appels...
Puis les roulements funèbres
des tambours...
Race qui dresses ta face aux trompettes de Josaphat!
Ta hampe, ô drapeau, cravatée de sang!...
Une angoisse étreint nos coeurs et les rompt...
Quels cris va pousser ce peuple oppressé?...
L'écoulement des baïonnettes,
pluie d'orage,
Et la foule tourbillonnant sur leur passage
Comme des feuilles dans le vent.
Je croyais voir défiler des fantômes.
Ombres de ceux qui ne sont plus,
Tous ils portaient au front le sceau fatal...
Dans les grands chars automobiles
Chantant, chantant à
pleins couplets,
Est-ce de vin, ou de fatigue, ou de gloire qu'ils sont grises?
Puis vous repartirez plus légers vers la mort;
Car il te faut encore saigner par tous leurs corps,
O France, ô mon pays saignant par les cinq plaies.
Julien
Vocance - 1917.
XXII
LES RUINES
Il
avait quatre-vingt seize ans.
On a dû
le ligoter
A la charrette, pour partir.
René
Druart - Chenay, 1922.
Quand
les hommes reviendront,
Le vieil orme qui est resté
Sera mort.
René
Druart - Les Maretz. Trois-Fontaines, 1922.
Passant
de Fleury,
Prie pour mes rues et mes arbres
Sur ma place vide.
André
Cuisenier - 1921.
Ils
étaient six dans la cave.
Ils y sont encore.
Mais où
est la cave?
René
Druart - Berry-au-Bac. 1922.
L'oiseau grelottant,
Boule emplumée sur le toit,
Rêve
au nid défunt.
B. Hirami
- 1923.
Rampe
en fer émergeant du talus,
Je te reconnais. Tu témoignes
Qu'ici fut notre maison.
René
Druart - Berry-au-Bac, 1922.
Il
neige encore, - encore un haïkaï!
La terre a recouvert les corps.
La neige veut recouvrir les ruines.
Un Jeune
Amateur Rémois - Décembre 1920.
La
nature a jeté
Sur les ruines humaines
La pitié de la neige.
René
Maublanc - 19 Février 1919.
Derrière
le cimeticre
Un moulin à
vent
Penche sa grande croix.
René
Druart - Chemin-des-Dames, 1922.
La
cathédrale dans les brumes:
Un sphynx à
deux têtes,
accroupi
Dans une jungle de rêve.
Roger
Lecomte - Janvier 1923.
Clair
de lune à
Reims.
Un spectre de cathédrale
Lève
ses bras blancs.
René
Maublanc - 28 Mars 1922.
Sur
l'écoutille d'une péniche
Sombrée dans le petit port,
Un pinson chante.
René
Druart - La Neuvillette, 1922.
Dans
les arbres fracassés,
Miracle!
Un alléluia d'oiseaux.
René
Druart - Sillery, 1922.
En
place des cloches,
Deux douilles de cuivre,
Pauvre voix du dimanche.
René
Druart - Saint-Gilles, près
Fismes, 1922.
Miséricorde
d'Avril!
Les buissons de barbelés
Se couvrent d'églantines.
René
Druart - Prouilly-Pévy, 1922.
Côte
a côte l'hiver
Deux buissons de fils barbelés;
En
mai, l'un fleurit d'aubépine.
Henri Druart - 1er Mai 1923.
XXIII
TERCETS PHILOSOPHIQUES
Sa
pitié est dure,
Son étreinte écrase.
Ne donnez pas la main à
un géant
Frédéric
Nietzsche
«L'homme
est mauvais»
Ainsi parlèrent
toujours les plus sages,
Pour ma consolation.
Frédéric
Nietzsche
Sois
une plaque en or.
Alors les choses s'inscriront sur toi,
En lettres d'or.
Frédéric
Nietzsche
Etes-vous
des femmes.
Pour vouloir souffrir
De ce que vous aimez ?
Frédéric
Nietzsche
Ce sont des écrevisses, je suis sans pitié pour eux:
Si tu les saisis, ils te pincent;
Si tu les laisses aller, ils vont en arrière.
Frédéric
Nietzsche - 1882-1888.
XXIV
LE COEUR
Ton
poignet contre ma joue
Toque doucement,
Tendre oiseau soumis.
Jean
Baucomont - Décembre 1920.
Douce voix
Qui glisses sur mon coeur
Comme le reflet de la lune sur un lac sombre.
J.-M.
Junoy - 1920.
Les
entrelacs sur ton visage
De mes innombrables baisers,
Moi seul les vois, ô cher amour!
René
Druart - 1923.
Mon
regard comme une abeille
Voltige tout, près
de vos lèvres.
Prenez garde de le chasser.
René
Druart - 1928.
Tu
ouvriras ma lettre...
Le parfum de mon âme
Te grisera soudain...
René
Druart - 1923.
Au
feu la vieille lettre!
Ah! dans la cendre, des mots ont brillé.
Comme pour survivre...
Jean
Breton - 1920.
Des
soirs que j'aimais
Une robe de l'an passé
M'a rendu l'odeur.
Madame
Lesage - Mai 1921.
Elle
a dit: «Oui».
Mais elle a répondu trop vite.
J'ai compris : «Non».
René
Sabiron - 1918.
Elle a dit : «Non».
Mais elle a répondu trop vite.
J'ai demandé: «Combien?»
Un Jeune
Amateur Rémois - Décembre 1920.
Elle
croit que je ne le sais pas.
Je sais qu'elle le croit.
Chut.
Jean
Breton - 1920.
Nous
avons seize ans tous les deux,
Mais quand elle en aura dix-huit,
Je n'en aurai que dix-huit.
Henri
Lefebvre - 1918.
Le
plus triste souvenir de mes vingt ans:
C'est de n'en avoir aucun
Qui me fasse pleurer.
Nico
D. Horigoutchi - 1921.
Mon
ami veillit,
Mais chaque ride est pour moi
Un sillon de tendresse neuve.
Marianne
Fock - Mai 1923.
Sous
mon cou, j'aperçois comme un lichen grisâtre.
Son rire reste cristallin.
Je vieillis... Si nous vieillissons!
Julien
Vocance - 1917.
Sous
les cendres refroidies,
Une braise rougeoie encore:
Souvenir cuisant...
Marianne
Fock - Mai 1923.
A
la moindre brise,
Sous les cendres de mon coeur,
Une braise flambe.
René
Maublanc - 3 Août 1922.
La
tristesse en amour,
Est-ce quand on est loin?
Est-ce quand on est près?
Nico
D. Horigoutchi - 1921.
On
ne doit pas me voir souffrir;
Ma douleur est un trésor,
Non une enseigne.
Marianne
Fock - Mai 1923.
J'ai
mis à
mon coeur une serrure
Que seule la souffrance
Peut encore ouvrir.
Marianne
Fock - Mai 1923.
Ne
me parle pas d' «affinités secrètes»:
L'amour n'est pas une alliance,
C'est un combat.
Pierre
de Palma - Mai 1923.
Un
sentiment est une robe à
traîne.
Il est bien malaisé d'empêcher
Qu'on ne marche dessus.
P.-A.
Birot - 1920.
Un
regard qu'ils ont échangé...
Quelle morsure dans mon coeur...
Je l'aime donc tant?
René
Maublanc - 1er Septembre 1922.
Quand
elle est gentille avec moi,
Est-ce pour m'encourager,
Ou pour vexer l'Autre ?
René
Maublanc - Avril 1923.
Regarde
mûrir
le beau fruit,
Mais détourne tes lèvres
goulues:
Tu sais bien qu'il n'est pas pour toi.
René
Maublanc - 19 Février 1922.
Je
veux bien la voir,
Son fiancé aussi,
Mais pas ensemble.
René
Maublanc - 22 Juin 1919.
Encore
des larmes
Et peu de sourires.
Je suis un mauvais semeur.
Jean
Baucomont - Décembre 1920.
Pas
une herbe n'est triste,
Et le ciel te sourit.
Pourquoi pleures-tu?
René
Druart - 1923.
Tu
te trompes, mon bon ange,
Pourquoi ces paroles de consolation?
Je pleurais de joie.
Max Jacob
- 1917.
Je
pleurais dans le fauteuil d'osier;
Elle m'a dit: «Consolez-vous»
Et s'est mise à
pleurer.
René
Maublanc - 13 Juin 1917.
Ne
me demande pas : «Qu'as-tu?»
Si tu ne le devines,
Tu ne pourras me consoler.
Marianne
Fock - Mai 1923.
Entre
deux amis,
Sous la tonnelle fleurie,
Je me suis guéri de l'amour.
P.-L.
Couchoud - 1905.
Tendre
lierre,
Grimpant tardif autour de mon coeur
Délabre!
J.-M.
Junoy - 1920.
Tresse
la couronne
Avec le remous des hommes
Et les cris des trains.
André
Cuisenier - 1921.
Nuit
de deuil.
Le bruit des vagues
A la voix de mon père...
René
Maublanc - 9 Décembre 1920.
La
flamme était haute
De celui que j'ai perdu:
Je m'y chauffe encore.
André
Cuisenier - 1921.
Mes
amis sont morts.
Je m'en suis fait d'autres.
Pardon...
René
Maublanc - 19-20 Juillet 1917.
Le
doux bambin qu'on nous avait prêté
Ne jouera plus, sur le sable du jardin,
Il est remonté au pays des rêves...
Julien
Vocance
TABLE DES AUTEURS
ANONYME:
1 haïkaï
publié dans l'Humanité et reproduit dans la Grande Revue.
ANONYME: 1 haïkaï
publié dans l'Humanité.
ANONYME:
1 haïkaï
inédit.
JEAN BACH-SISLEY: 2 haïkaï
extraits de la Gazette des Sept Arts.
JEAN
BAUCOMONT: 8 haïkaï
publiés dans l'Humanité. 2 ont été reproduits
dans la Grande Revue.
JEANNE
BÉLÉDIN-DESTRANGES: 1 haïkaï
tiré de la Gerbe.
MAURICE
BETZ: 3 haïkaï
tirés du volume de vers: Scaferlati pour troupes. L'un d'eux a
été reproduit dans la Grande Revue.
PIERRE-ALBERT BIROT: 2 haïkaï
publiés dans la Nouvelle Revue Française.
JEAN-RICHARD
BLOCH: 3 haikai tirés de la Nouvelle Revue Française. (2
ont été reproduits dans la Grande Revue) et 3 tanka publiés
dans les Cahiers Idéalistes.
ANDRÉ
BOCQUET: 2 haïkaï
inédits.
JEAN BRETON (pseudonyme littéraire du philosophe C. BOUGLÉ): 25
haïkaï,
dont 16 inédite. Les 9 autres ont été publiés dans
la Gerbe, la N. R. F., la Grande Revue.
PAUL-LOUIS
COUCHOUD: 13 haïkaï
extraits de la plaquette : Au fil de l'eau. 6 ont été reproduits
dans la N. R. F. ou dans la Grande Revue. J'ai noté les
7 autres comme inédits, puisqu'ils n'ont jamais été offerts
au public.
ANDRÉ CUISENIER: 5 haïkaï,
dont 1 inédit. Les 4 autres sont tirés de la Gerbe et de
la Grande Revue.
ALBERT DE NEUVILLE: 1 quatrain rimé, extrait du volume de vers: Epigrammes
à
la Japonaise.
PIERRE
DE PALMA: 1 haïkaï
inédit.
GILBERT DE VOISINS: 2 haïkaï
extraits du volume de vers: Fantasque. 1 a été reproduit
dans la Grande Revue.
RITA DEL NOIRAM: 3 haïkaï
inédits.
BERNARD DESCLOZEAUX: 3 haïkaï
inédits.
PIERRE DESCLOZEAUX: 1 haïkaï
inédit.
HENRI DRUART: 21 haïkaï,
tous inédits.
RENÉ
DRUART: 28 haïkaï,
dont 25 inédits; les 3 autres ont paru dans la Gerbe et la Grande
Revue.
PAUL
ELUARD: 3 haïkaï
publiés par la N. R. F.
MARIANNE FOCK: 6 haïkaï
inédit.
GEORGES
GARRETA: 1 haïkaï
inédit.
RENÉ
GEORGIN: 6 haïkaï,
dont 4 sont inédits; les 2 autres sont tirés de la Grande Revue.
MAURICE GOBIN: 6 haïkaï,
dont 4 inédits; les 2 autres ont pars dans la Gerbe et la N.
R. F.; le second a été reproduit dans la Grande Revue.
VICTOR GOLOUBEFF: 2 haïkaï,
dont 1 tiré de la Grande Revue; l'autre est inédit.
FERNAND GREGH: 3 quatrains rimés, publiés d'abord dans la Revue
de Paris, puis dans le volume La Chaîne Eternelle. L'un d'eux
a été reproduit dans la Grande Revue.
HENENSAL: 1 haïkaï
publié dans l'Humanité.
B.
HIRAMI: 7 haïkaï
inédits.
NICO
D. HORIGOUTCHI: 4 haikai extraits du volume: Tankas et reproduits dans
la Grande Revue.
MAX
JACOB: 4 phrases extraites du Cornet à
Dés et découpées en trois. Elles ont été
reproduites dans la Grande Revue.
JOSEP-MARIA
JUNOY: 5 haïkaï
tirés de la plaquette: Amour et Paysage. 3 ont été
reproduits dans la Grande Revue.
ROGER LECOMTE: 8 haïkaï
inédits.
HENRI LEFEBVRE: 1 haïkaï
publié dans la Gerbe, la N. R. F., la Grande Revue.
Madame LESAGE: 2 haïkaï
inédits.
GEORGES
LONG: 4 haïkaï
inédits.
RENÉ
MAUBLANC: 28 haïkaï,
dont 10 ont paru dans la Gerbe, la N. R. F., la Grande Revue;
les 18 autres sont inédits.
FRÉDÉRIC NIETZSCHE: 5 tercets extraits des Maximes et Chants
de Zarathoustra.
PAUL PAULHAN: 2 haïkaï
publiés par la N. R. F.
ALBERT PONCIN: 12 haïkaï,
dont 11 inédits; l'autre a paru dans la N.
R. F. et a été reproduit dans la Grande Revue.
JULES
RENARD: 5 phrases tirées des Histoires Naturelles (4) et de Ragotte
(1) et découpées en trois; l'une d'elles a été reproduite
dans la Grande Revue.
OLIVIER REALTOR: 2 haïkaï
reproduits dans un article de la Renaissance; l'un d'eux a été
reproduit aussi dans la Grande Revue.
RENÉ SABIRON : 4 haïkaï
publiés dans la Vie, reproduits dans la N. R. F. et la
Grande Revue.
UN
JEUNE AMATEUR RÉMOIS: 2 haïkaï
publiée dans l'Humanité.
ROGER VAILLAND: 6 haïkaï
inédits.
JULIEN VOCANCE: 28 haïkaï,
dont 8 extraits de la Grande Revue, la N. R. F. et la Connaissance.
Les autres sont inédits.
VIOLETTE: 1 haïkaï inédit.
Au total: 283 haikai, dont 173 inédits, de 48 auteurs.