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Paul-Louis
Couchoud
(1879-1959)
Importé du Japon par Paul-Louis Couchoud au début de ce siècle, le haïku se francisa en 1905 - l'année de parution du premier recueil de tercets bien de chez nous, une mince plaquette tirée à trente exemplaires, mais qui fit pourtant son chemin.
Julien Vocance - Joseph Seguin de son vrai nom - évoquera plus tard le souvenir de ces années de découverte et d'euphorie:
"Donc nous sommes aux environs de l'année 1900. Quelques amis, tous étudiants, se réunissent périodiquement, rue Champollion, dans la chambre de l'un d'eux, Paul-Louis Couchoud, qui titulaire d'une bourse de la fondation Kahn, revient d'un voyage autour du monde, imprégné, ébloui, parfumé de son contact avec les anciens maitres, sages et poètes, du Japon. Tout en nous offrant du saké dans de minuscules tasse nipponnes, tout an déroulant pour nous quelqus-uns des précieux kakémonos rappotés de là-bas, il nous dévoile les beautés de Basho et de Buson, nous initie à la sensibilité japonaise, nous explique ce qu'est le haï-kaï.
(...) Et voilà comment, dans un Paris que n'encombraient pas encore les autos (...) se forma, de la plus autentique, de la plus indiscutable façon le premier groupe de haïjin français."
Accompagné du peintre André Faure, "mort prématurément des suites de la guerre", et du sculpteur Albert Poncin, Couchoud entreprend une longue flanerie sur une péniche qui descend lentement le cours des canaux. C'est alors que seront composés les 72 haikai d'Au fil de l'eau, dont certains, malgré le passage de quatre-vingt-dix années, ont gardé toute leur profondeur ou leur fraîcheur.
Patrick
Blanche
Provence, novembre 1994
[PAUL-LOUIS COUCHOUD].
- Au fil de l'eau. Juillet 1905.
Une mince plaquette de 15 pages, sans nom d'auteur, tirée à 30 exemplaires
hors commerce. Elle contient 72 haïkaï, tercets irréguliers et sans rimes,
composés par P.-L. COUCHOUD et deux de ses amis, parmi lesquels ALBERT
PONCIN, au cours d'une navigation en chaland qu'ils firent, en 1905, sur les
canaux de France.
Ce sont, sans conteste, les premiers haïkaï français qui aient été
écrits.
René
Maublanc
Le pampre, no. 10/11, 1923, p. 8.
Au fil de l'eau,
1905
During a canal-boat cruise in 1903, the authors, Paul-Louis Couchoud, Albert
Poncin and André Faure composed 72 haïkaï that were compiled into a collection
privately published.
Couchoud who taught his friends the Japanese genre, was a professor of philosophy and doctor of medicine. He had traveled to Japan and had been seduced by Japanese poetry and the haiku. Without any doubt not only did he initiate French language haiku but he also became the first true French expounder and initiator of the genre in a series of two articles entitled "Les épigrammes lyriques du Japon" in 1906.
Bertrand
Agostini
The Development of French Haiku
in the First Half of the 20th Century:
Historical Perspectives
Paul-Louis
Couchoud, Albert Poncin et André Faure
Au fil de l'eau
Juillet 1903.
[72 haïkaï.
Publication privée, 1905.]
Le convoi glisse
déjà.
Adieu Notre-Dame!...
Oh!... la gare de Lyon!
Nu comme un
dieu,
Au galop dans la prairie,
Il fait la réaction.
Dans la dahabieh
Les faiseurs de haikai
Eventent leurs jambes nues.
La nuit est-elle
finie?
Je soulève la bâche.
Eblouissement.
Ville endormie.
Un garde de prison passe,
Un volet s'ouvre.
Une prison.
Des abbattoirs.
Une patrouille au fond de la rue.
Oh! vite vivre...
Entre les plats
Il lave son assiette:
Marinier amateur!
Sur le rebord
du bateau
Je me hazarde à
quatre pattes.
Que me veut cette libellule?
Les joncs même
tombent
de sommeil,
Je rôtis délicieusement
Midi.
Dans la première
écluse
La flûte
pénètre
Nuptialement.
St-Mamme.
Dans le soir
brûlant
Nous cherchons une auberge.
O ces capucines!
Chéri,
chéri,
Ah! tu me fait mourir!
Douche dans le verger.
Au bord du vieux
puits
Dès qu'elle a posé,
Elle me tend la rose.
La costumière
de l'Opéra
Tient maintenant enseigne pimpante
A l'entrée du village.
Emilienne! Emilienne!
Sans
répondre, elle papillonne dans la nuit,
Feu follet de notre désir.
Entre deux amis,
Sous la tonnelle fleurie,
Je me suis guéri de l'amour.
Le bateau coule,
L'heure fuit
Insensiblement...
Les bateliers
roupillent dans l'herbe.
Les deux chevaux s'en vont devisant.
»Service
accéléré.«
Sur le chemin
de halage
En bonnets de fous
Deux bourricots.
Le vieux canal
Sous l'ombre monotone
S'est vert-de-grisé.
Dans un monde
de rève,
Sur un bateau de passage,
Rencontre d'un instant.
Sautez mignonne,
Cécilia!
Ce vieux marc est esquis.
Dîner d'adieu.
La lune montre
l'oreille.
Les arbres semblent souffrir.
»Avez-vous vu trois filles?«
Un cyclone cette
nuit!
Non, c'est dans l'écluse
Le torrent qui nous soulève.
Quand on a enlevé
la croûte noire,
Il reste une feuille de cigarette
Fromage de Melun.
Avec sa petite
faucille
Comment pourra-t-elle
Faucher tout le champ?
Les ombres des
gladiateurs
Viennent sans doute lutter la nuit.
Forêt
penchée sur les ruines.
Arènes de Chenevières.
Le bain rond
Est pour la nymphe du bosquet.
Le bain carré pour les faunes.
Thermes de Chenevières.
Polka dans la
nuit.
Dans la zône de lumière jaune,
Silhouettes claires, silhouettes sombres.
La péniche
vernissée
Ne se compromet pas
Avec les miséreux montluçons.
Cette vieille
laveuse
Est la dogaresse
De la Venise du Gâtinais.
Montargis.
Sur sa mule pomponnée
Que vient faire à
Montargis
Ce nain de Vélasquez?
Réfectoire
de couvent.
Les soeurs vont venir.
C'est quarante sous l'entrevue.
Le chevet sur
le canal,
L'église de Montbouy
Sommeille depuis huit siècle.
L'azur triomphal
Transperce même
Le hêtre
noir.
Moissonneurs
dans les blés.
A l'ombre d'une gerbe,
Une grande soupière.
Les ombres s'allongent.
Les champs de seigles mûrs
Se mettent à
flamber.
Dans le soir
violet
Arrivée délicieuse.
Il faut coltiner des sucres.
La nuit nous
enveloppe.
Les grillons se mettent à
chanter.
Souper sous la vigne.
Vous qui passez
dans l'ombre
Le long des peupliers
Etes-vous des amants?
L'Armée
du Salut
Promène sur les canaux de France
Une salle de prêche.
Au-dessus des
feuillages
S'élève gravement
Le donjon de Coligny.
O sept écluses
dans les pins!
De quel tombeau surhumain
Etes-vous l'escalier?
Rogny.
Ouzouer.
Je trouve à
ce nom
Une saveur patoise.
Dans l'antique
église
Sous les chapitaux obscènes
Un sacré-coeur de sucre.
Horizon solennel.
Le fleuve magnifique
Agonise dans les sables.
Bonny-Loire.
Les chirurgiens
Examinent l'intestin
De la bicyclette.
TINCTURA IODI
PEDONCULI CERASORUM
Le pharmacien s'est endormi.
Le pasteur
A pris pour petite bonne
Une jolie catbelique.
L'orage se prépare.
Toutes les feuilles du tremble
Battent de l'aile.
Il est tout
fier, le petit chat,
D'avoir fait peur
Au vieux coq.
D'une main elle
bat le linge
Et de l'autre rajuste
Ses cheveux sur son front.
La vache repue
Ne voit que le pied
Du saule argenté.
On dit
Que la demoiselle du château
A une oreille de porc.
A la lisière
de la forêt
Les grands sapins
Présentent les armes.
Au pied du donjon,
En demie couronne,
Des toits gris et bruns.
Sancer.
Dans l'immense
corbeille verte
De petits villages marrons,
Deux ou trois.
Sur cette terrasse
Venir au crépuscule
Parler d'amour...
Le fleuve mal
endormi
Fait vivre dans la terreur
Le village pelotonné.
St-Satur.
Dans la nuit
silencieuse
Le fleuve épuisé et la vieille tour
Se rapellent leur vaillance.
Vieux combattants,
Les arbres sont toujours à
leur poste
Devant le fleuve fatigué.
Dans la ville
haute,
Une belle matineuse
Se coiffait à
sa fenêtre.
Des assiettes
peintes
Dans l'âtre
des poulets rôtissent
Ah! la bonne auberge!
Une simple fleur
de papier
Dans un vase.
Eglise rustique.
Deux chênes
géants
Gardent l'entrée
Du domaine.
Les fermes semblent
des forteresses.
Les vaches ne vont que par douze.
Berry féodal.
Lorsqu'elle
s'est dressée,
La paysanne aux grands yeux,
J'ai cru voir Artémis.
En route pour
la foire.
Derrière chaque carriole
Une botte de foin.
Elle hale le
bateau.
Quand l'épaule est meurtrie,
Elle tire avec le ventre.
Au débouché
du pont...
Nom de Dieu! c'est aussi beau
Que toute l'Espagne!
La Charité.
A l'ombre de la Mosquée
Voici justement
Le patio des Orangers.
Au-dessus du
fleuve nocturne
La ville se silhouette.
Symphonie en bleu.
Tiré à 30 exemplaires
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Paul-Louis
Couchoud
AU FIL DE L'EAU
[onze] »Haï-kaïs«
La Nouvelle Revue Française, a. VII. n. 84, 1° septembre 1920, pp.
331-332.
Le convoi glisse
déjà
Adieu Notre-Dame
Tiens!... la gare de Lyon!
Sur le bord
du bateau
Je me hazarde à
quatre pattes.
Que me veut cette libellule?
Les joncs même
tombent
de sommeil,
Je rôtis délicieusement
Midi.
Dans le soir
brûlant
Nous cherchons une auberge.
O ces capucines!
Sur le chemin
de halage
En bonnets de fous
Deux bourricots.
Le vieux canal
Sous l'ombre monotone
S'est vert-de-grisé.
La vache repue
Ne voit que le pied
Du saule argenté.
Le fleuve mal
endornie
Fait vivre dans la terreur
Le village pelotonné.
Dans la nuit
silencieuse
Le fleuve épuisé et la vieille tour
Se rapellent leur vaillance.
Une simple fleur
de papier
Dans un vase.
Eglise rustique.
Elle hale le
bateau
Quand l'épaule est meurtrie,
Elle tire avec le ventre.
1903.
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Paul-Louis
Couchoud
[treize]
»Haï-kaïs«
Le Haïkaï Français
Bibliographie et Anthologie par René Maublanc
Le pampre, no. 10/11, 1923, pp. 1-62.
Sur sa mule
pomponnée,
Que vient faire à
Montargis
Ce nain de Velasquez ?
La
vache repue
Ne voit que le pied
Du saule argenté.
Sur
le chemin de halage,
En bonnets de fous,
Deux bourricots.
Dans
l'antique église
Sous les chapiteaux obscènes
Un Sacré-Coeur de sucre.
Le
Pasteur
A pris pour petite bonne
Une jolie catholique.
Vous
qui passez dans l'ombre
Le long des peupliers
Etes-vous des amants?
D'une
main elle bat le linge
Et de l'autre rajuste
Ses cheveux sur son front.
Les
joncs même
tombent de sommeil.
Je rôtis délicieusement
Midi.
Dans
le soir brûlant
Nous cherchons une auberge.
O ces capucines!
Avec
sa petite faucille,
Comment pourra-t-elle
Faucher tout le champ ?
Elle
hâle
le bateau.
Quand l'épaule est meurtrie,
Elle tire avec le ventre.
O
sept écluses dans les pins!
De quel tombeau surhumain
Etes-vous l'escalier?
Entre
deux amis,
Sous la tonnelle fleurie,
Je me suis guéri de l'amour.
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cf.
Couchoud Paul-Louis,
Faure André & Poncin Albert, Au fil de l'eau, 72 haïkaï; plaquette
hors commerce.
Au fil de l'eau:
les premiers haïku français / éd. établie par Éric
Dussert, [Paris] : Mille et une nuits, 2003, 63 p.
Au fil de l'eau;
suivi de Haïkaïs: les premiers haïku français, 1905-1922 / Paul-Louis
Couchoud, Andrée Faure, Albert Poncin... [et al.] ; nouvelle édition
établie par Éric Dussert, Paris : Éd. Mille et une nuits,
impr. 2011, 152 p.
Paul-Louis Couchoud, Japanese Impressions, 1921
Japanese impressions, [Sages et poètes d'Asie] with a Note on Confucius, translated from the French of Paul-Louis Couchoud by Frances Rumsey. With a preface by Anatole France, London, J. Lane : New York, John Lane company, 1921, In-8 ° , XXIV-155 p.
SHIBATA Yoriko,
"Un voyage à
la découverte du haiku et du waka: recherches sur les lettres manuscrites
de Paul-Louis Couchoud", Société
de Littérature de l'Université de Tokyo, 2000.
Hikaku-bungaku, No. 76, pp. 78-96.